Les évacuations
sanitaires à Djibouti ne sont jamais simples. Il est 13
heure, moment le plus chaud de la journée du mois le plus
chaud de l’année. Un vent de sable rend la visibilité
oblique presque nulle. Fatigué de jouer à la foi le pilote
et le médecin et comme l’évacuation sanitaire souhaitée est
relativement proche, je demande à la base aérienne de
m’envoyer un toubib avec le minimum de matériel. Arrive un
jeune et fringant aspirant débarqué depuis à peine quinze
jours sur le territoire. C’est sa première mission aérienne
et les problèmes de masse au décollage ne semblent pas
l’interpeller. Il veut à tout pris emporter le matelas
coquille, l’oxygène (ça peut toujours servir) ainsi que
moult matériel sûrement utile mais pesant. Après quelques
explications didactique et autoritaire, le minimum est
embarqué.
"...
- Djibouti airport d’Alouette
2 delta lima, roulage pour le Day, evasan.
- Négatif delta lima. 800 mètres de visibilité. Vous n’avez pas les minima.
- Airport de delta lima c’est pour une evasan.
- Impossible delta lima, je ne peux pas vous donner l’autorisation.
- Airport de delta lima, je décolle sous ma responsabilité.
- Voilà ce qu’il fallait dire delta lima, on aurait gagné du temps..."
Et c’est parti. On n’y voit rien en horizontal. En "visi
verticale", c’est un peu mieux. Heureusement je connais très
bien le secteur et ,proche du sol, ce n’est pas le Pérou,
mais c’est volable.
Apres le vent de sable arrive l’orage. Il pleut fort
rarement dans ce coin, mais quand il pleut, c’est violent.
La porte droite est enlevée pour avoir moins chaud. En place
avant, je suis à peu prés protégé de la pluie. Le toubib,
qui est à l’arrière, n’a pas cette chance. Quand le soleil
revient, il est trempé comme une soupe. Sable, eau, puis
soleil, c’est la totale aujourd’hui. Nous arrivons au Day
pour récupérer la malade. Elle n’est pas là. C’est un
messager qui est venu prévenir les légionnaires en bivouac
et qui va nous servir de guide.
Où est-t-elle ?
Vers là-bas, vers la frontière.
Une note du deuxième bureau local nous interdit de nous
poser en dehors des postes militaires. Une faction rivale
projette d’enlever des européens pour faire pression sur le
gouvernement. Le médecin, mis au courant, veut quand même
continuer. Ca tombe bien, mois aussi. Petit doute cependant,
d’ordinaire j’ai un bon contact avec les gens de brousse.
Celui ci me semble franc et fourbe comme un âne qui recule.
Ai je raison de le suivre ?
En dessous de quinze mètres sol, il m’est difficile de
naviguer dans ces régions désertiques, mais au- dessus,
c’est notre guide qui n’a plus ses repères. C’est donc en
très basse altitude et en zigzag que nous nous dirigeons
vers le toucoul de la personne à évacuer. La frontière se
rapproche dangereusement et je suis bien incapable de dire
si elle a été franchie lorsque nous arrivons à destination.
La hutte demi-circulaire, habitation typique des nomades
afars, est en fond de vallée.
Nous serons lourd tout à l’heure. Pensant au décollage
prochain, je me pose sur un pic assez loin afin de pouvoir
plonger et prendre un peu de vitesse. Ce ne sera pas du luxe
avec deux personnes en plus à bord. Pas de vent et le
thermomètre de la cabine affiche un agréable 65°c, on doit
friser les 50° à l’ombre si jamais il y en a.
Nous prenons les deux caisses à outils et de médicaments et en
route.
Du "toucoul" s’élève un chant rythmé par des claquement de
main et de pieds. C’est une espèce de tente d’à peu prés
cinq mètres de diamètre. Il a une armature en bois
recouverte de nattes tissées avec des fibres de palmier.
L’entrée, relativement petite, est fermée par une
couverture. A l’intérieur brûle un feu sans cheminée.
L’odeur et la chaleur sont suffocantes et la fumée pique aux
yeux. Une cinquantaines de femmes sont accroupies autour d’une
forme allongée. Impossible de posez nos boites à médicaments
tellement le "toucoul" est plein. Je demande au guide de faire
sortir tout le monde pour que le médecin puisse faire son
travail. La malade est une jeune femme splendide qui,
instantanément, me fait penser à la reine de Saba. Cheveux
tressés en forme de coiffure égyptienne, nez fin, peau
claire, yeux en amande, épaules larges et belles. Elle est
superbement belle mais elle a l’air mal en point. La
respiration est saccadée, les yeux sont révulsés. Ne pouvant
approcher la malade, le toubib insiste pour faire évacuer
tout le monde. Il faut agir vite, la respiration s’accélère.
Devant le refus obstiné de l’assistance, je décide de
repartir. Le toubib me regarde avec de grands yeux et, ne
comprenant pas la ruse, me débite une grande tirade sur la
non-assistance à personne en danger. Percutant soudain, il
me suit. Nous sommes presque à l’hélico quand, enfin, ils
nous rappellent. La moitié des femmes sont sorties et les
nattes sont relevées pour que personne ne rate la suite des
événements.
L’aspi lève les quatre draps couvrant la malade pour
l’ausculter. Elle est nue sur sa couche. Aussitôt vingt bras
se faufilant de partout remettent les draps. Chaque fois que
le toubib descend un peu les couvertures, elles sont
remontées aussitôt. Après plusieurs essais et explications
nous faisons mine de repartir. L’autorisation nous est enfin
donnée. Le corps est absolument magnifique mais il y a pas mal de
travail à faire dessus. Le ventre est dur comme de la
pierre, elle a une grosseur à l’aine et au moins quarante
degrés de température. Sûrement une fausse couche qui s’est
mal passée. Le toubib s’active. Antibiotiques,
réhydratation, médicaments pour faire tomber la fièvre. Il
faut l’évacuer vers l’hôpital de Djibouti pour l’opérer.
Elle est portée en cortège vers l’hélico. Les chants
reprennent. C’est la première fois que je vois quelqu’un
traité avec autant d’égard, surtout si c’est une femme.
Pendant que je l’installe plusieurs personnes montent à bord
pour l’accompagner. Même ma place est prise. Palabre pour
n’en garder qu’un. Dans ce pays où tout le monde est maigre,
c’est le plus gros qui reste. Un véritable monstre pour la
région. Lui à bord, plus la jeune fille, trop lourd, on ne
décollera jamais. Re-palabre. Pas facile de leur faire un
cours d’aérodynamique. J’y arrive enfin et hérite d’un vieux
monsieur tout maigre. Pendant ce temps les femmes passent
une à une et mettent, chacune, un drap sur notre reine. Le
toubib est au bord de la crise de nerf. Avec la température
qu’elle a, c’est un bain d’eau glacée qu’il lui faut, pas
des couvertures. Ne se maîtrisant plus, il les jette par
terre au fur et à mesure, ce qui ne détend pas l’ambiance.
Re palabre. Je réussi à n’en garder que trois. Ouf! On peut
enfin partir. Les femmes tournent autour de l’appareil en
psalmodiant. J’ai peur de couper des têtes avec le rotor.
Mais non, ça passe. L’hélico peine mais décolle. Le petit
vieux est assis à l’arrière, côté porte enlevée. L’Alouette 2 n’est
pas spacieuse. Il y a le brancard, le toubib, les caisses de
médicaments et le grand-père bien sanglé, une fesse dehors,
une fesse dedans. A mi-parcours un courant d’air coquin
découvre les jambes de la belle. Le papy se dessangle sans
problème, enjambe le docteur et remet pudiquement les draps
en place. Impossible de le sangler à nouveau. Tombera,
tombera pas ? Dans la famille "toucoul", je préfère de loin la
fille, mais ça fait mauvais genre de perdre quelqu’un en
vol. J’incline l’appareil tout le reste du vol pour ne pas
le perdre.
Mission réussie.
Je ne savais pas que dans ce désert poussaient de si belles
fleurs. Notre retour de l'hôpital fut silencieux et rêveur...
La jeune fille s’en est sortie. C’était bien une fausse
couche. Avec mon copain l’aspi, nous sommes retournés la voir à
l’hôpital, n’étant pas
Salomon je ne lui ai apporté que des bonbons... |