L’Alouette que je pilote le 20 novembre 1958 est mise a la
disposition du Colonel commandant un régiment de paras. Une
opération importante avec largage de plusieurs bataillons à
partir de Nord 2501 est planifiée dans la vallée de l’Oued
ARDJEM.
Nous avons passe la nuit à AMMI MOUSSA, dans une vallée
voisine, avec le PC du régiment. La salle a manger de la
popote locale a permis d’organiser un dortoir plus
confortable qu‘une tente. ll n’y a pas de lit pour tous et
nous avons couche à même le sol. Cependant, grâce au matelas
pneumatique et au duvet qui font partie de l'équipement du
pilote d’hélicoptère, nous avons bien dormi.
La météo du matin n’est pas fameuse. Une couche de stratus
presque continue voile le ciel et les sommets sont
accrochés. Mais le col qui permet de passer d’une vallée à
l’autre pourrait être dégagé. Nous décollons dans cet espoir
avec le Colonel et son officier adjoint. Une route passe par
ce col. Elle permet un cheminement sur, malgré la visibilité
médiocre.
Nous arrivons a la base du nuage. L’altimètre permet
d’estimer que le col est a peu prés au niveau du plafond.
Dans l’espoir d’y arriver en peu de temps, je continue de
suivre la route à faible vitesse. Elle est à flanc
de coteau avec surplomb
a droite, ravin a gauche. La visibilité devient de plus en
plus faible. Nous sommes dans le nuage.
J’estime bientôt qu’il serait imprudent de poursuivre. Nous
décidons de nous poser sur le surplomb et d’attendre les
jeeps qui doivent emprunter la route avec les autres membres
du PC. Je pourrai ainsi leur confier mes passagers et faire
demi-tour.
Nous organisons notre position au sol, chacun muni de son
arme individuelle. Dilemme ! Faut-il baliser l’Alouette par
ses feux de position pour nous faire reconnaître des
passagers des jeeps et éviter qu’ils nous prennent pour des
adversaires, ou rester discrets ? Nous optons pour la
première solution.
L’attente n’est pas trop longue : vingt minutes environ.
La jonction se fait sans problème. Nous établissons par
prudence une liaison radio HF entre une des jeeps et
l’Alouette. Je décolle donc sans passager pour mon
demi-tour. Mais surprise, la visibilité suffisante pour voir
le surplomb a droite ne l’est plus pour le voir à gauche !
Elle ne me permet pas le demi-tour. Le pilote en place
droite ne peut essuyer la buée sur la paroi gauche de la
bulle et de la porte en plexiglas. Et surtout son angle de
vision du sol est presque vertical à droite alors qu’il
n’est pas loin de 45° à gauche, augmentant de 40% la
distance d’un même repère au sol suivant qu’il est vu d’un
côté ou de l’autre.
Par radio, j’indique au capitaine Para qui veille le PRC
10 que je suis obligé de me poser de nouveau ou de le
suivre. Les arbres qui bordent la route, par endroit, sont
mon problème. Sans eux, je pourrais voler à très faible
hauteur sans la perdre de vue. Avec eux, je suis contraint à
un jeu de saute-mouton presque invisibles. Seul ce ne serait
pas possible. Grâce au guidage radio et aux feux de position
des jeeps qui me permettent de situer la route de plus haut
cela le devient. Le Capitaine Para en qui j’ai toute confiance
(nous avons sympathisé au cours de plusieurs opérations
précédentes) se transforme en contrôleur de vol:
"Attention, tu arrives
sur un arbre, monte...100 mètres sans arbre... un grand
arbre... une suite de petits arbres... encore un grand
arbre... etc..."
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Ce petit jeu ne dure heureusement
pas trop longtemps. Le col n’était pas si loin...
En retrouvant la seconde vallée et
une altitude plus basse, je peux reprendre mes
passagers et les conduire au PC de l’opération.
Le plafond est meilleur dans cette zone.
Les Nord 2501 peuvent
effectuer leurs parachutages et le Colonel
coordonner l’action de ses commandants de
bataillons. |
Le détail d’exécution de cette mission est bien sur resté
confidentiel entre les paras et moi.
Sans être exagéré, le risque pris était a la limite de ce
que l’on pouvait faire a l‘époque en hélicoptère. ll
n’aurait sûrement pas été approuvé par ma hiérarchie qui
avait le devoir d’imposer une marge de sécurité entre cette
limite et la pratique courante.
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