Désorientation spatiale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’ALGER DECEMBRE 1961 A SHARM EL CHEIKH  JANVIER 2004 :

LE DRAME DE LA « DESORIENTATION SPATIALE »


 

Voici une anecdote personnelle dont le souvenir est encore très présent, sur un phénomène physique, dramatique en vol, toujours d’actualité et qui, je pense, le sera encore longtemps.
 

24 Décembre 1961.

En 1ère alerte EVASAN de nuit, décollage de la Réghaïa par une nuit sans lune pour le secteur d’Aumale, petite ville à une centaine de kilomètres au sud-est d’Alger.

Sur les H 34 dans l'armée de l'air, la place droite est la place 1er pilote, les principaux instruments et notamment de VSV (horizon artificiel, bille, aiguille, vario) sont placés à droite sur le tableau de bord. A gauche, en place co-pilote, uniquement badin, compte-tours, pression d'admission (réplique des trois instruments à l'extrême droite du TdB côté 1er pilote).

 

Mission sans problème, décollage d’Aumale, cap sur la DZ Marcel Cerdan de l’Hôpital Maillot à Alger. La nuit est sombre, quelques rares lumières au sol, et, droit devant, les crêtes encore plus sombres qui dominent la plaine de la Mitidja. Altitude, probablement autour de 1000 mètres sol.

Puis, surgissant du néant, au ras des crêtes, les lumières d’Alger apparaissent légèrement sur la gauche. Cette large tache lumineuse, après un long vol dans l’obscurité, c’est toujours un soulagement, la preuve tangible que le plus dur est fait, que l’on va bientôt retrouver son lit dans la chambre d’alerte. C’est la détente, on se prend à rêver, le pied gauche sur le coin inférieur de la fenêtre, le droit sur le plancher (étant moniteur, je suis en place gauche). Le grondement régulier du moteur, très présent dans le silence, malgré le casque et les écouteurs, rassurant, bien que, parfois, simple illusion sensorielle, il semble varier. Inquiétude, passagère… Le pilote à droite a les commandes.

Les minutes passent, tranquilles… soudain, brusquement, comme un rideau qui tombe, c’est le noir absolu, plus de lumière à l’horizon ni ailleurs, plus de repère visuel, le néant. Après quelques fractions de secondes, la surprise passée, je tourne la tête vers la droite, vers les instruments de VSV . Diable, horizon à 45° en forte descente, l’altimètre qui déroule. J’essaie de prendre les commandes ; trop tard, à droite, le pilote tétanisé m’empêche de les bouger. Malgré mes abjurations, rien à faire, le malheureux est entré dans la spirale infernale du phénomène de désorientation spatiale provenant de l’oreille interne.

A mon tour, je suis victime du même phénomène avec, en plus, les commandes pratiquement bloquées. Qui n’a jamais été victime de ces terribles sensations ne peut imaginer le drame que cela représente. On subit des informations physiques impérieuses, à l’opposée des indications instrumentales, une effrayante impression de tourner dans tous les sens, qu’il n’y a plus rien à faire. Pour moi, plus de doute, l’écrasement est au bout de ce manège infernal.

Et soudain, miracle, à l’horizon, les lumières salvatrices réapparaissent. Aussi brusquement qu’il s’est produit, le phénomène physique cesse avec le retour des références extérieures habituelles. Le H34 est en descente sur la queue, le nez en l’air. Reprise du vol horizontal, cap sur Alger. A bord, personne ne dit mot mais n’en pense pas moins.

A tout ceci je ne vois qu’une raison, nous sommes entrés dans un nuage. Un cumulus peut-être, que nous ne pouvions voir venir et qui devait masquer la partie droite de la rade d’Alger. Heureusement, ce nuage n’allait pas jusqu’au sol, nous en sommes sortis à environ 500 m sol.

Suite et fin de la mission, RAS. Au bout de plus de deux heures de vol, dernier message au Centre de Contrôle : « Métal de Raffut 32 en vue de la Réghaïa pour quitter la fréquence ». « Autorisé, terminé ».

Cette nuit là, pendant quelques dizaines de secondes, j’ai bien cru ma dernière heure arrivée. Jeune sergent pilote, je n’étais pourtant pas un novice, dans mon 26ème mois de séjour opérationnel et 850 heures de H34 (le Cdt de bord du Boeing de Sharm el Cheikh n’était sûrement pas un novice non plus).

Malheureusement, d’autres équipages de H34 n’ont pas eu cette chance. Je pense au crash d’août 1960 dans le secteur d’Alger à celui de mai 1964 en Allemagne et, surtout, à celui de la forêt de Perseigne près d’Alençon en mars 1963. Pour eux malheureusement, le nuage allait jusqu’au sol.

La désorientation spatiale des pilotes a été évoquée dans le drame de Sharm el Cheikh. Je le pense aussi (il en a même été question récemment pour le crash d’un Rafale). Mais comme souvent, on ne saura sans doute jamais la vérité, d’autant que des intérêts d’ordres nationaux ou financiers influent souvent sur les enquêtes.

Que penser de cette aventure pour les hélicos d’aujourd’hui ? Ils sont souvent qualifiés IFR, équipés d’instruments plus performants, et surtout avec un PA, ce qui manquait au H34 au manche si inconsistant du fait des servos ; mais encore faudra-t-il leur faire confiance et pouvoir résister aux ordres impérieux et contradictoires du cerveau humain trompé par les informations fallacieuses de l’oreille interne.

 

Récit et documents photographiques de base: Bernard Mahaut A.H.A.