Le Puma aboie, la caravane passe (mais de justesse!)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cazaux, octobre 1989.

Je suis en formation moniteur "Puma" depuis quelques semaines et il manque trois missions à mon actif : sling, navigation VFR et montagne.

(on a beau s'appeler Pyrénées, on ne les a pas tout près) 

Justement, se présente une opportunité de faire d'une pierre les trois coups : Le CIEH de Toulouse a développé depuis un certain temps des liens de coopération avec la section pyrénéenne du Club Alpin Français (personnellement j'aurais appelé ça le Club Pyrénéen Français, mais là n'est pas le sujet) et au printemps précédent a hissé en sling à leur profit une caravane réformée permettant d'abriter les bénévoles chargés de la réfection du refuge du Portillon, situé au bord du lac éponyme à 2500 m d'altitude, en amont des lacs d'Oo et d'Espingo, tout au bout du Val d'Astau. Le temps est venu de redescendre cette caravane dans la vallée en vue de la préserver pour une utilisation future. Seul un sentier de randonnée de 12 kilomètres de long relie le site au reste du monde. 

Pour ne rien arranger, le seul "Puma" de Francazal est indisponible pour plusieurs jours. Il ne faut pas tarder car les crêtes frontalières qui entourent le site sont déjà bien enneigées, d'où l'idée du CIEH de nous proposer la mission. 

Après avoir rassemblé les informations disponibles, nous programmons le vol pour le lendemain. Je suis désigné comme copilote et le commandant en second de l'EH est chargé de me superviser pour cette triple mission qui doit signer la fin de ma formation. Nous décollons donc le 13 octobre avec deux mécaniciens d'équipage, deux mécanos sol pour les manœuvres "d'élingage" et un photographe habitué de nos missions.

 

Nous avons rendez-vous aux Granges d'Astau avec le responsable du CAF, qui nous confirme les données de la mission. Le CIEH ayant fait la mise en place six mois auparavant, nous sommes confiants quant à sa faisabilité. Après quelques minutes de vol, nous découvrons le cadre majestueux dans lequel nous allons opérer : le lac du Portillon est fermé par un petit verrou rocheux au nord et par la masse imposante du Perdiguère (3200 m) au sud. Le refuge et la caravane sont tout au bout du sentier. Après atterrissage, et pendant que les mécanos préparent filet et élingues, nous reprenons nos calculs de perfos : Altitude, température locale, masse résiduelle du "Puma", et une inconnue : le poids de la caravane que nos arrondissons à une tonne avec une petite marge supplémentaire. Sur le papier, ça passe sans excès notoire.

Briefing, installation, mise en route, décollage et présentation à la verticale du dispositif, accrochage de l'élingue, l'appareil répond parfaitement, le guidage est serein, l'équipage concentré mais confiant, tout se déroule normalement. Tenant compte du vent du sud, nous sommes face au relief et je prévois une fois la charge soulevée de reculer précautionneusement, puis, dégagés du verrou rocheux, de pivoter et de descendre tranquillement vers l'aval.

Je tire souplement sur le collectif, l'appareil monte, et c'est là que les ennuis commencent... La caravane refuse obstinément de décoller ; je fais une application de pas supplémentaire : toujours rien. La voix du soutier se fait insistante : « Monte, monte ! ». Je suis à plus de 17° de pas, du jamais vu en stationnaire bimoteur. Je m'apprête à interrompre la procédure quand la caravane s'élève enfin de deux petits mètres ; je commence ma translation arrière, mais le Puma s'enfonce. Pas moyen de passer le verrou rocheux. Je commets alors l'erreur de partir en légère translation avant et nous nous retrouvons au-dessus du lac, ce qui fait perdre son effet de sol à l'appareil qui s'enfonce inexorablement. Nous sommes alors tous deux à maintenir le collectif au-delà de la butée élastique, figés en stationnaire sans pouvoir faire quoi que ce soit, y compris revenir au point d'enlèvement, situé désormais à une altitude supérieure à la charge.

A terre, le photographe croyant que nous prenons la pose, saute de rocher en rocher pour immortaliser la scène. S'il savait... 

Sur le téléphone de bord, l'ambiance est cacophonique : le soutier hurle sans discontinuer des ordres à monter car la caravane oscille dangereusement et ses roues viennent frôler la surface du lac, le mécanicien de conduite vocifère des ordres à descendre car les turbines grognent de manière inquiétante et les T4 atteignent CENSURE °C. Il nous est impossible d'imposer le silence et de prendre une décision entre pilotes. Larguer ? Aucun de nous deux ne semble vouloir s'y résoudre : Caravane engloutie, lac pollué et notre matériel de sling définitivement perdu (le lac est très profond).  

La situation reste figée pour un temps qui nous paraît démesurément long ; et soudain, rafale de vent salvatrice ou allègement en carburant (nous avons sans doute beaucoup consommé  pendant ces quelques dizaines de secondes), l'appareil commence enfin à s'élever doucement. Très souplement, nous commençons à le faire pivoter, nous sautons le verrou rocheux et descendons lentement en spirale vers l'aval, tout en limitant la vitesse horizontale, la vallée étant très étroite.

Nous sommes enfin aux Granges d'Astau et nous larguons rapidement notre caravane volante sur le bitume. Atterrissage, coupure des moteurs, il faut maintenant aller au résultat et surtout aux explications. 

Un examen approfondi du plancher mécanique de l'appareil montre que décidément, Papa Sud Aviation et Maman Turbomeca ont engendré un bébé rustique et costaud. Notre brave 1660 a tout encaissé sans broncher. Mais quel mystère cache la caravane ? Nous ouvrons sa porte et manquons de tomber à la renverse : elle est remplie à ras bord de nécessaire à soudure, de chalumeaux et de dizaines de bouteilles de propane, d'oxygène et d'acétylène : Au moins 600 kilos de matériel non pris en compte dans nos calculs, qui transformaient notre charge en bombe volante. Imaginons qu'elle ait heurté un rocher... 

Tandis que le responsable du CAF nous rejoint tout guilleret, nous lui expliquons froidement et vertement notre conception de l'aéronautique. Tout penaud, il ne peut que nous répondre « je leur avais pourtant bien dit... ». 

Midi approche et le quidam n'a rien prévu pour nous. Nous récupérons personnel et matériel et, les émotions nous ayant creusé, rallions rapidement le terrain le plus proche pour un repas bien mérité, en l’occurrence... Lourdes !


Peut être que ce jour-là quelqu'un veillait sur nous.

En effet, dans notre précipitation, nous n'avions pas remarqué que ce 13 octobre tombait un vendredi...

 

Reportage photographique: Jean-Marie C.