Port aux Français : Le Chalutier
"57" avec un des MI-1 sur le pont arrière
Entre le 20 et 25 janvier 1963,
une flottille soviétique, composée d’un
navire-usine, d’un chalutier et de bateaux
chasseurs, était venue relâcher à Port-aux-Français,
sur l’île de Kerguelen, Base assurant la
souveraineté de la France dans ces lieux : les
Terres Australes et Antarctiques Françaises (les
TAAF). Deux hélicoptères tricycle avant, équipés de
flotteurs latéraux, Type MIL MI-1 (3 à 4 places)
étaient embarqués, destinés au repérage des
baleines.
Lors de leur visite de courtoisie
et conformément à la législation maritime
internationale, demande d’autorisation de naviguer
dans les eaux territoriales, des "officiels
Soviétiques" furent débarqués par hélicoptère et
reçus par les autorités françaises (Jacques
Mercier, Chef de district Ker- 63 et
René Bost, Chef scientifique). Les
visites étant si peu fréquentes, la colonie
française organisa une réception en leur honneur.
L’équipage soviétique y fut convié.
Arrivée de l’hélicoptère sur la
base de Port aux Français
Fin 1962, pour la première fois
aux Kerguelen, l’armée de l’Air avait mis à la
disposition des TAAF la mission HELIKER pour la
durée de la campagne d’été austral, de décembre à
mars, composée de deux hélicoptères Alouette II,
avec 3 pilotes et 3 mécaniciens.
Les deux équipages, russe et français sympathisèrent
et, sans traducteur officiel, on vanta les qualités
de sa machine respective, le soviétique MIL MI 1 et
de l’Alouette II française.
L’après-midi, la visite d’une
colonie d’éléphants de mer et de la spectaculaire
rockerie de manchots royaux de cap Ratmanoff, à 30
kilomètres à l’est-nord-est de la base, fut
improvisée.
Deux hélicoptères, le MI 1, avec à son bord
René Bost, et une Alouette II, décollèrent
ensemble de Port aux Français vers ledit cap.
L'appareil français montrant sa
supériorité évolutive, l'appareil russe, avec ses
flottabilités, avait des difficultés à suivre (selon
le récit rapporté par R. Bost, seul
Français à bord. À l’arrivée sur la plage, les
pilotes accentuèrent leur quick-stop pour atterrir
et … impressionner le concurrent. L’hélicoptère
soviétique fit un atterrissage un peu acrobatique
(toujours selon le témoignage direct de R. Bost), sa
roue avant se planta dans la vase, cachée par l'acaena
(ou acéna). Ceci eut pour effet de faire basculer
l'appareil vers l’avant. Une pale du MI 1 heurta le
sol. L’appareil se reposa assez durement.
Aucun
blessé ne fut à déplorer à bord. Mais le MI-1 était
irréparable.
Le second hélicoptère de la flottille fut dépêché
avec une autorité soviétique (commissaire politique
?) à son bord.
Constatant les dégâts, non réparables rapidement, il
prit la décision de mettre le feu à l’épave. Les
Soviétiques rejoignirent leur navire avec ce
deuxième hélicoptère.
Le second MI-1 à Port aux
Français
Le lendemain de l’accident, les
autorités de la base demandèrent aux hélicoptères
français d’aller sur les lieux de l’accident.
Le feu avait été allumé de
l’intérieur de l’habitacle. Les instruments de bord
et le matériel radio avaient brûlé. Les souvenirs
furent peu nombreux
Reste de l'épave en 1965
Récit de Gilbert
Aubrée
Avec le concours de
Pierre COUESNON, Président de l’AMAEPF
D’après les témoignages de : Jacques BALLAY- Météo,
Jacques BITTERLY – Magnétisme, Lionnel MAUGIS - TP,
Bernard MORET- Éleveur,
Jacques NOUGIER- Géologie, Hervé PONCHELET- Radar vent,
Marégraphe.
HELIKER
VII
été 1969 - 1970
Pilotes:
Jean-Paul Dumont (chef de détachement),
Lambert, Seguin.
Mécaniciens:
Ciotta, J.L. Foures, Patrice Legrand, Michel Mongin.
"Alouette 2"
n° 332 et n° 336
Un coup de vent sur l'île de l'Est
1969, le 20 février je décolle du
"GALLIENI" pour rechercher un site favorable à
l'implantation d'un campement. Ce sera la Baie du
Naufrage. J'y débarquerai 59 passagers et 7,5 t de
matériaux divers, Lambert et Seguin
en transportant certainement autant. Une cabane de
chantier assemblée entre deux tranchées creusées et
emplies de béton dans lequel se noyaient de gros crochets
métalliques d'où des câbles d'acier fixaient notre seul
abri en dur. Le personnel restant sur l'île se voyait
attribuer une petite tente pour deux. Avec Seguin, nous
plantâmes la nôtre à proximité de ce lieu de vie sur
une plaque d'acaena après en avoir ôté les caillasses
inhospitalières.
Monsieur de Corbiac, ancien colonel du
service géographique des armées responsable IGN de la
cartographie de nos archipels antarctiques, me laissait
500kg de théodolites, planchettes et autres matériels
ainsi qu'un plan des relevés nécessaires à la
réalisation de la carte de l'île. Comme je faisais
remarquer que ce n'était pas ma spécialité,< tout
officier français est capable de dresser une carte >.
Et l'équipe hélico de déjà baptiser les cols (col
Claudine, Argent, Marin, Inmaillard …).
Une fois le "GALLIENI" disparu à l'horizon, la vie sur
l'île se réparti entre son étude géologique ( Monsieur le professeur Nougier dit
Nounou,
un ami, nous explorions ensemble les archipels, en 1964
nous découvrîmes les fumeroles des Kerguelen et c'est
Nounou qui me permit de donner le prénom de ma fille à
une presqu'île "Isabelle" ). Le carottage,
destiné à la datation par l'orientation magnétique des
roches (un grand Gallois, américain de fraîche date), la
recherche d'insectes ( Monsieur le professeur P. Dreux),
enfin 16 personnages rattachés à l'île de la Possession
par une radio, le train train quoi.
Vers 03h00 dans la nuit du 25 au 26 février une très
forte explosion provenant du col, point haut de la vallée,
et le flottement des toiles de notre tente firent que je
demandais à Seguin de voir ce qui se
passait. Une fois sorti il me cria < au poste d'abandon
>. La toile externe déchirée sur toute sa longueur,
tant bien que mal j'enfilais mon pantalon et c'est sous
les gifles de la toile interne que le mât de tête se
rompit pendant que je cherchais à endosser mon
anorak.
Sortir d'une tente qu'un ouragan enroule
autour de vous n'est pas une mince affaire, le mât à mes
pieds se brisa alors que je cherchais à le coucher et il
fallut l'aide de Seguin pour m'extraire de ces toiles.
Seize personnes dans une cabane métallique de 5mx4m
laissent peu de place, la tôle du fronton au-dessus de la
porte dut être étayée pour résister à un vent moyen
de 150 kts avec des rafales de plus de 200 kts. Armés d'une
lampe de poche nous sortîmes repérer les dégâts :
L'alouette n°332 couchée sur sa gauche dressait vers le
ciel une pale qui battait au vent entre deux pales de la
336.
Le courage de mes mécaniciens pour, de
nuit par un temps pareil, démonter cette pale et la
coucher au sol sans endommager celles de l'Alouette n°336
qui à part des éléments de sa bulle éclatés semblait
avoir peu souffert.
Avec un appareil, seul moyen de joindre le bateau, nous
ne pouvions prendre le risque de jouer les naufragés et
nos vols furent réduits à quelques transports de
personnels et matériels sur l'île.
Aussi dans la cabane, à l'aise comme des
sardines dans leur boîte, les blagues ne manquaient pas.
Une fin de repas, Nounou sorti une bouteille de cognac
breuvage qui attira des remarques du professeur
qui nous dit s'y connaître en cognac. < ce co.co.
Cognac ne vvaut rrien >. Quelques minutes plus tard
Nounou sorti une bouteille de rhum et là, notre
professeur < alors ça c'est un bon cognac >. Il est
vrai que pour avoir donné son nom à une mouche sans
aile...
Nous apprenons par notre radio que le M/S "GALLIENI"
fait route vers nous, le morale remonte, d'autan que le
tonneau de vin après avoir roulé vers la mer est resté
bloqué dans le ruisseau où nous puisons l'eau douce. Si
dans les naufrages les rescapés furent souvent sauvés
grâce à la bible retrouvée, nous avions une barrique d'Ouzou...
Le 1er mars dans la nuit le "GALLIENI"
se
signale en route vers nous et estime être en vue de
l'île de l'Est pour 07h00, à 05h00 je décolle avec mon
chef mécano qui une fois sur le bateau s'engouffre dans
les cales afin d'en extraire et acheminer vers la ZP le
matériel et les rechanges nécessaires à la remise en
état de vol de notre bel oiseau blessé. Après avoir
transporté 2,5 t en sling, c'est 22 passagers que je
déposerai à terre. Tout le monde voulait voir les
dégâts.
La veille grâce à un long cordage que le vent avait
épargné, tout le personnel sur l'île avait, à la force
des bras, redressé l'Alouette sur ses patins, les uns
tirant, les autres retenant. Notre Gallois n'avait que
ces mots à la bouche < no possible ...no
possible > américain même de fraîche date, il ne
pouvait croire ce qu'il voyait. De merveilleux
mécaniciens changer la tête rotor, les pales, avec pour
seul moyen de réglage la comparaison des angles
d'incidence des pales déposées et la longueur des
biellettes de commande de pas qui seront modifiées
d'après l'incidence des nouvelles pales.
Difficile à croire, lorsque vers midi après quelques
essais turbine je quittais l'île pour le "GALLIENI",
niveau de vibrations tout à fait correct, cet appareil
avec son arceau de porte gauche tordu et son plan fixe
enfoncé volait bien. Presque à mi-parcours au dessus de
l'océan s'alluma la lampe pression d'huile de la boîte
de transmission principale. J'ôtais le cache rouge sorti
l'ampoule et la jetais dans l'océan, cache remis en
place, plus rien ne s'opposait à ce qu'avec mon chef
mécano nous allions prendre un bon repas dans la salle à
manger du bateau, mais avant pour que Seguin puisse se
poser sur le "GALLIENI" il fallait replier les pales,
pousser l'appareil hors de l'aire de poser. C'est reposant
sur un patin et encordée contre une coursive que je
laissais cette courageuse amie.
Débordant d'énergie, le S/C Ciotta put
grâce au courage et au professionnalisme des
Sergents : Jean-Louis Foures, Patrice
Legrand et Michel Mongin, remettre l'Alouette N°332 en état de rejoindre le M/S
"GALLIENI".
Quelle belle équipe j'ai eu l'honneur et le plaisir de
commander !
PS: Cette mésaventure nous a valu des
Félicitations officielles... (CLIC)
Récit de Jean-Paul Dumont
HELIKER VIII
été 1970 - 1971
Pilotes : Verhaegue (Chef
de détachement), Fourès, Metzger.
Naviguant sur la route des îles Kerguelen, entre les "quarantièmes Rugissants et les
cinquantièmes Hurlants", je revois encore des paquets de mer gigantesques, monstrueux, se ruer sur nous. D'une hauteur supérieure au bateau, les énormes déferlantes se brisent sur le pont en détonant comme des coups de canon; elles submergent et balayent tout sur leur passage, inondant le matériel de servitude qui, arrimé fort heureusement, fait
corps avec l'ensemble. Par quel miracle l'étrave arrive-t-elle à se sortir de cette eau bouillonnante pour pointer dans le
ciel ? - Comme un nageur, elle reprend peut-être sa respiration
! - Car, à nouveau, elle plonge avec force dans une explosion d'écume, au milieu du bruît assourdissant du moteur qui s'emballe, puis s'étouffe 1'instant d'après. Ainsi, les coups de boutoir répétitifs font que le bateau craque de toute part et avance par saccades, tel un vieux tortillard cahotant à travers la montagne. Simultanément, les plaintes lugubres du vent en furie se déchirant sur les filins, et le tintement monotone et sinistre des manilles
frappant la mature métallique, n'arrangent en rien notre
moral !
Les mouvements incessants avec l'odeur particulière d'une mer en colère soulèvent l'estomac; cela dure des heures et des heures... Sur les rayonnages d'une bibliothèque, les livres ne cessent de basculer d'un
côté sur l'autre. A chaque hublot, les rideaux en grosse toile rouge se balancent au même rythme. Derrière les vitres rondes, le ciel noir chavire pour laisser place aux vagues grises tumultueuses; puis, à nouveau, le ciel noir réapparaît et ainsi de suite. Au moment des repas, seuls les gens bien amarinés viennent à table. Mais ces jours-là, personne n'a le
cœur à rire, l'appétit ne va pas fort. Les places se libèrent vite; finalement, tout le monde préfère aller se coucher...
Une nuit, en pleine tempête, le Chef de Quart réveille en sursaut le groupe des aviateurs. Le système, qui maintient les pales repliées de l'hélicoptère embarqué, menace de s'arracher. Nous sommes sept à nous habiller, tant bien que mal, à la
hâte. Le vent, le froid, la pluie qui cingle le visage, ont vite fait de remettre les idées en place. Nous avançons avec peine, courbés en deux dans le noir, en cramponnant le bastingage. L'équilibre est instable, le bateau bouge dans tous les sens. Lors de la réparation, le mécanicien ne peut se tenir seul, debout, sans risquer la chute; toute l'équipe se serre en demi-cercle autour de lui, le coinçant contre le fuselage; un aide l'éclaire d'un minuscule faisceau de lampe torche. Les corps
arc-boutés font obstacle à la violence du vent; les mains agrippent fermement l'appareil et les vêtements des autres pour éviter d'être emportés à la mer. Bien vite, les yeux se brouillent de larmes dues au froid, et de gouttes de pluie. Les minutes paraissent interminables en de pareilles circonstances, pourtant, il faut tenir bon. De retour dans la
cabine, le sommeil a disparu; mais, la
tiédeur du lit, la fatigue, le bercement régulier et le ronronnement des machines permettent de se rendormir assez vite.
Une autre fois, en vue des îles Crozet, il est décidé d'amener le courrier par hélicoptère avant la tombée de la nuit.
- Le courrier est "sacré" dans les coins perdus du Globe; surtout ici, où les gens n'ont droit qu'à un message de cinquante mots par semaine avec un membre de leur famille. Les lettres, même si elles datent de deux ou trois mois, ont une valeur inestimable - Dès le décollage du pont d'envol (équipage:Metzger, Vincent), la pluie fait son apparition. Elle dessine une multitude de ronds sur
la mer grise; le ciel s'assombrit vite. Bientôt, le bruit créé par le survol des installations à terre rameute les vingt-deux hivernants, comprenant l'arrivée imminente de la relève. L'accueil est chaleureux, enthousiaste,
avec des embrassades humides et des grandes tapes dans le dos. Toutefois, on ne s'attarde guère, la nuit est là; un autre équipage reviendra
tôt demain, en commençant le déchargement de la cargaison. Le retour s'effectue dans le noir vers le navire ancré au large, éclairé de mille feux, là-bas. Des bourrasques secouent notre machine. Je sens le pilote nerveux, car l'approche est délicate. De plus, la brillance de chaque lampe du bateau est multipliée par autant de gouttelettes d'eau qui courent sur notre pare-brise. L'effet est superbe, mais l'éblouissement rend impossible le pilotage de précision.
Nous demandons l'extinction totale des feux; le Commandant rechigne, craignant un abordage quelconque. Le temps de la décision, nous tournons autour du navire. Les mers sont
plutôt désertes par ici. J'essaie de calmer le pilote qui hurle dans le micro. La plate-forme arrière, sur laquelle on doit se poser, monte et descend sans cesse au gré de la houle, en mouvements circulaires continus. Je crains un bain forcé dans cette eau glacée; ce serait problématique pour notre survie. Finalement, nous appontons un peu durement sur le bateau tous feux éteints, grâce à la lueur de notre phare.
Des 502 appontages effectués, il fut l'un de mes plus mouvementés... Ces moments forts sont encore très vivaces; les images défilent d'une rare netteté et resteront toujours gravées dans ma mémoire.
Sous de telles latitudes, l'océan et le ciel sont souvent capricieux; au cours de ce voyage, nous avons essuyé une dizaine de cyclones en quatre mois, avec, par trois fois, des rafales de vent dépassant les
300 km/h !...
Mais il arrive qu'un rayon de soleil allume tout à coup un gigantesque arc-en-ciel. Les couleurs irisées ressortent alors
magnifiquement sur le fond noir des nuages. Le bateau blanc, un peu jauni par la rouille, danse ragaillardi sous cette arche céleste, au milieu d'une eau grise aux reflets verts surmontés d'écume. Les grands oiseaux marins reviennent en planant, signe d'une accalmie. Tout le monde soupire, en pensant que la chance nous a souri une fois de plus.
15.01.71.
Alouette n°343 Pilote P. Fourès
.. 02.71.
plage de Crozet "on n'est pas
manchots..."
..
appontage sur le bateau vie, le "GALLIENI"
fin janvier 1971 ...
départ vers Heard, Australie.
... amarrage de
l'Alouette II sur la DZ du GALLIENI
Port aux Français ...
déstockage de la 343, au fond le bateau vie
"GALLIENI"
... survol de la
calotte glacière au centre des Kerguelen
Récit de
Claude Vincent (extrait de son livre: "Planer,
mon rêve!")Photographies de Claude Vincent
et TAAF
Lors de cette campagne KER75 deux
missions bien différentes vont se dérouler.
Programme
franco-soviétique ARAKS (ARtificial
Aurora between Kerguelen and Sogra)
Le 26 janvier 1975, deux fusées
américaines ARCAS seront tirées suivies d'une fusée
française Eridan.
Lanceurs des fusées
ARCAS
Ce programme permettra
l'observation de phénomènes complexes prenant
naissance dans la magnétosphère.
Pour établir la conjugaison
magnétique, on cherche à créer artificiellement une
aurore en injectant des électrons en un point de la
haute atmosphère et en observant à l'autre extrémité
de la ligne de force le phénomène auroral conjugué
ainsi déclenché.
Fenêtre de tir très courte, 15
minutes, conditions : jour à Kerguelen et nuit à
Sogra- Oblast d’Arkhangelsk - URSS.
Les phénomènes auroraux associés
ont effectivement été observés dans la région
d'Arkhangelsk.
Ces expériences conduites en
collaboration avec des équipes américaines et
soviétiques ont été coordonnées et dirigées avec
succès par Bernard Morlet.
Le navire "SAS Protea", bâtiment
hydrographique de la Marine sud-africaine, relâche à Port
aux Français. Visite de courtoisie et demande d’autorisation
de navigation dans les eaux territoriales françaises. Par
ailleurs, une équipe d’alpinistes sud-africains va tenter
d’arriver au sommet du mont Ross quelques jours après la
première d’une équipe d’alpinistes français.
Effectivement, le mont Ross n'a été gravi pour la
première fois qu'en 1975, devenant ainsi le dernier
sommet français à avoir été vaincu.
La
première ascension des 1850 m de ce volcan est
réalisée le après 12 jours de lutte contre
les éléments, froid intense et vents violents, par
les alpinistes français
Jean Afanassieff et Patrick
Cordier,
suivis le par trois autres alpinistes de
leur expédition, Patrice Bodin, Denis Ducroz
et Georges Polian.
Photos Jean Millet
Une demande d’autorisation de survol de
l’île est également établie pour l’hélicoptère sud-africain,
un Westland “Wasp” qui approchera les hommes et le matériel
du camp de base du mont Ross.
Westland “Wasp” de la
S.A.N. au Cap
Le 4 mars 1975, pendant que l’équipe
d’alpinistes sud-africains tentait, sans succès, de faire le
sommet du mont Ross, quelques membres de l’équipage du
navire découvraient la "manchotière" (royale) de cap
Ratmanoff.
L’hélicoptère sud-africain suivait une
ALlI, pilotée par Jean Millet, pour un poser à
proximité de la manchotière. Les occupants du "Wasp", parmi
lesquels Daniel Manoury, ont mis pied à terre,
mais le médecin major du bord (South African Navy) est passé
par l’arrière.
Il s’est tué dans le rotor anticouple.
Équipé d’un train quadricycle, le pilote de
l’hélicoptère ne souhaitait pas couper sur place, risques
d’enfoncement dans les souilles*. Mais cet accident (rotor
A/C endommagé) l’a contraint à baisser le collectif et
stopper la turbine, ce qui a provoqué l’enlisement et
d’autres dégâts.
Photo Daniel
Manoury, peu après l’accident, au fond, les manchots
arrivent.
Le dépannage, compliqué par une
tempête, la nuit suivante, a pris 3 ou 4 jours (avec l’aide
des mécaniciens HELIKER).
*Flaques de boue profondes où se vautrent les éléphants
de mer
Témoignages de Daniel Manoury
et Jean Millet recueillis par
Gilbert Aubrée
Clic gauche sur la photo pour agrandir.
clic sur la photo pour voir la vidéo
Le " MARION-DUFRESNE I "
HELIKER
XIX
été 1982 - 1983
33ème mission Kerguelen
Pilotes: Jean-François
Germain (chef de détachement),
François Borie
Mécaniciens:
Jean Borotra, Pons, Jacques Sentenac, Sébastien
Pileri
"Alouette 2"
n° 346 et n° ...
:
Tonte
Une des
multiples îles de l’archipel des Kerguelen,
l’île
Longue, est réservée à l’élevage de
moutons. Là vivent à peu prés 350 ovins en
totale liberté. L’herbe est grasse et le
rude climat hivernal ne les affecte pas
trop. Lors de l’introduction, ces conditions
climatiques ont été prises en compte pour le
choix de la race. Un seul prédateur sur ces
terres perdues, l’homme, qui vient de temps
en temps prélever quelques têtes pour
améliorer son quotidien. Tous les ans il
faut les tondre pour enlever leur énorme
toison qui les gène et empêche le bélier
d’accomplir son travail. Quand les femelles
ont mis bas et que les agneaux sont assez
vigoureux pour suivre leur mère, toute la
mission débarque à l’aube pour rabattre ce
bétail dans des parcs de tonte.
Pas facile de rassembler ce petit
monde. L’île, légèrement montagneuse, fait 13
kilomètres de long. Elle est coupée en deux par une
clôture et chaque année les troupeaux sont changés
de côté pour reposer les pâturages. Et le rodéo
commence. Tous en ligne et en avant. Facile si l’on
est sur la plage, plus sportif s’il faut escalader
les collines. Au fil des kilomètres les agneaux les
plus faibles s’épuisent et, tel le pasteur de la
crèche, il faut les porter. La fin du périple avec
deux de ces charmantes bêtes sur le dos m’a semblé
un poil long et c’est avec bonheur que j’ai vu se
profiler les enclos. Tout s’est bien passé jusqu’à
cinquante mètres du parc. Entre une clôture de
barbelés et quelques hommes trop espacés la brebis
de tête a choisi.
Brusque demi-tour et une grosse partie du
troupeau a suivi. "Bis repetita placent", il a fallu
s’y recoller. Fort de cette expérience peu
concluante nous avons employé les grands moyens et
l’AL2 s’est révélée formidable en chien de berger.
Nous sommes resté à six pendant une bonne semaine
pour tondre le cheptel et castrer à tout va. Lever à
l’aube. Repas rapide à midi, fin du travail au
coucher du soleil vers dix huit heure. Un des mécano
de l’équipe cuisinait à merveille. Affamés par le
grand air et le travail physique, ses plats étaient
pour nous de véritables délices. Nous étions logés
dans une cabane en bois. Le confort était sommaire
mais l’ambiance chaleureuse et le paysage à couper
le souffle.
On se rappelle toujours la première fois. Moi
c’était une brebis et je ne savais pas trop comment
m’y prendre…. Elle dans la main gauche, la tondeuse
dans la droite.
Avant de clore ce chapitre, technique pour castrer
un bélier, ça peut être utile dans la vie. Prendre
un bon gros bélier avec des cornes bien puissantes.
Se mettre à deux et coordonner les mouvements. Se
positionner d’un côté de la bête, attraper fermement
les deux pattes opposées et tirer avec force. Dés
que l’animal est à terre le deuxième bipède lui
saute dessus pour l’immobiliser et lui passer les
pattes de devant derrière les cornes. L’asseoir sur
son derrière, bien faire descendre ses testicules au
fond des bourses puis écraser la veine et le canal
séminal avec des pinces autobloquantes. Si l’on fait
bien attention de ne pas pincer...
les testicules, ce n’est absolument pas
douloureux. Les béliers sont castrés, non par plaisir bien
sur, mais pour éviter la consanguinité. Tous les trois ans,
deux nouveaux mâles sont amenés de France.
Récit de Jean-François Germain
Photographies Internet TAAF
Vol avec l'Administrateur
des Terres Australes
Le Vice
Amiral Claude Pieri (4 étoiles...), a commandé la flotte de
sous-marins nucléaires.
En
deuxième section, il avait été nommé Administrateur
supérieur des
Terres Australes et Antarctique françaises. Prenant
juste ses fonctions, il va faire le tour de son
nouveau territoire.
Nous passerons donc deux mois
ensemble. Connaissant quelqu’un qui avait servi sous
ses ordres, je me suis donc renseigné pour savoir à
qui j’allais avoir à faire. Homme rigoureux,
exigeant, pas facile, mais juste. C’est donc avec un
peu d’appréhension que j’ai fait sa connaissance
mais il s’est révélé être un homme imposant mais
agréable.
Préférant être cent mètres sous l’eau que cent
mètres au-dessus du sol, je le sentais un peu mal à
l’aise lorsque nous volions. Parfois, quand l’air
était loin d’être calme j’accentuais les turbulences
en disant "houlà la..." et sa façon de se raccrocher au
siège me vengeait des petites piques et asticotages
qu’il avait envers le seul gonfleur d’hélice qui
partageait sa table.
Un
matin, vol vers Entrecasteaux. Trois à bord; lui,
mon mécano Pileri
et moi.
Étant tous les deux originaires
de l’île de beauté, ils se mettent à parler corse.
Au bout
d’un moment, je baisse le pas et me mets en
autorotation.
Fauteuil attrapé et question angoissée de l’Amiral
qui me demande ce qui se passe, je lui répond:
" C’est
l’hélicoptère de la République qui ne comprend pas
ce qui se dit en son bord et qui réagit "
A peine
sorti cela, je me demande soudain si je n’ai pas
poussé le bouchon un peu loin...
Petit
silence puis, avec le sourire, l’amiral dit au
mécano:
"Le
pinzutu se vexe. Bon,on va reprendre la langue de
la République"
(NB:
pinzutu signifie pointu,désigne aussi le Français: c'est un
sobriquet.)
Récit de Jean-François Germain
Jean Borotra, Jean-François
Germain
Bactéries
Depuis trois jours le responsable du laboratoire de
biologie s’agite. Il est grand temps d’aller chercher des
bactéries aérobies au seul endroit où l’on en trouve, prés
d’un lac, de l’autre coté de l’île dans le
Val Studer.
Pas de chance, la tempête souffle empêchant
tout décollage. Enfin le vent se calme un peu. Pour
l’avenir de la science, je vais faire un gros
effort. Dés le décollage le vent nous secoue en tout
sens. Les rabattants sont nombreux et violents. Le
plafond bas et la pluie violente diminuent la
visibilité. J’ai le sentiment d’être une bille dans
un flipper. Nous arrivons enfin. Une fois posé,
impossible d’arrêter le moteur. Le vent est si fort
qu’il y a risque de coupure de la queue par une pale
lors de l’arrêt. Les risées arrivent sur le lac
avant qu’elles ne frappent violemment l’hélicoptère
qui recule à chaque coup de butoir. Le scientifique
est descendu. Il sort de sa poche un pot de yaourt,
une petite cuillère, creuse un minuscule trou dans
le sol et ramasse un peu de terre qu’il met au fond
de son pot.
Nous avons risqué notre vie pour un gramme de
sable, mais l’élevage de bactéries est sauvé. La recherche
demande un investissement total…
Récit de Jean-François Germain
Photographies J.F. Germain, Internet TAAF
... toujours dans les parages de Port aux
français, en décembre 1982...
Des chercheurs et des
hommes...
... Un bon chercheur
est observateur. Il était bon, donc avait les sens en éveil...
Lors des différentes
rotations sur le "MARION DUFRESNE", il était toujours là à
regarder l'Alouette II se poser. Après le repas du soir, il me demande
pourquoi j'arrête toujours mon rotor avec une pale dans l'axe...
-"Parce que c'est la plus
longue", lui dis-je pour plaisanter ...
Contrairement
à mon attente, satisfait de ma réponse, il me souhaite le bonsoir et
va se coucher. Le
lendemain, à peine assis pour le petit déjeuner, il me saute dessus :
" J'ai bien réfléchi
cette nuit. Si une pale est plus longue que les autres, comment
l'hélico peut-il voler ?"...
"Des chercheurs
qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche"
...
.
Récit de Jean-François Germain
Photographies J.F. Germain, TAAF
Surcharge
Entrecastaux, Nouvelle Amsterdam. Mille cinq cent
kilomètres des îles Kerguelen.
Tiens, il fait beau mais, comme c’est original, il y a
… du vent.
J’ai fait deux rotations pour amener du
matériel et trois passagers. La cabane est au pied
d’une grande falaise. Plus bas gronde la mer et une
petite colline d’une vingtaine de mètres nous met à
l’abri de la brise. Dans les herbes, une "manchotière"
de gorfous sauteurs, petits manchots aux aigrettes
jaunes sur le bec.Dans la cabane quelques
instruments de mesures scientifiques et plusieurs
pièges à mouches. L’île est surpeuplée de
vache aussi amorphes que maigres. Il y a déjà
longtemps un fermier a voulu faire de l’élevage sur
ce bout de caillou perdu, mais l’affaire ne fut pas
viable. Le fermier est parti, le cheptel est resté.
La mission vivant sur cette île fait parfois son
marché avec une carabine gros gibier et une dépanneuse en
guise de caddy. Ils choisissent une jeune bête. Coup de feu,
accrochage des cornes au bras de la dépanneuse, éviscération
du taurillon et direction les frigos. Qui dit vaches dit
mouches. Il y en a des milliers. Bien noires et grasses,
elles règnent en maître sur ce minuscule bout de France. Les
pièges sont simples. Un peu d’eau au fond d’une bouteille.
Deux jours plus tard elle est pleine jusqu’au goulot de
mouches mortes.
Il faut maintenant regagner la base vie. Ca
va être dur. Quatre personnes, treize gorfous,
prélevés sur le site pour étude, du matériel et
assez de kérosène pour la fin de la mission. Les
rabattants peuvent être dangereux. Zone de poser
minuscule bordée de roseaux. Je monte à la verticale
jusqu’à cinq ou six mètres du sol et pousse le
manche pour prendre de la vitesse. Pris dans un
rabattant et malgré toute la puissance disponible,
nous descendons inexorablement vers le sol. L’hélico
touche un peu dur mais les patins bien à plat. Le
rotor fauche quelques roseaux. Mon mécano est blanc
comme un linge. Je n’ai pas eu le temps d’avoir
peur, trop occupé à limiter la casse. En fait, tout
est OK. Le rotor de queue, toujours sur la zone de
poser n’a pas souffert.
En fin de compte cet atterrissage
involontaire n’a rien abîmé. Tout le monde descend.
Vidange d’une cinquantaine de litres de kérosène
pour s’alléger au maximum. Je me repositionne sur la
DZ et au lieu de partir face à la colline, je plonge
directement vers la mer en souhaitant de ça passe.
Moment d’angoisse, çà vibre, bouge, secoue, mais
c’est passé. Au poser, un passager m’offre un
porte-clefs en me remerciant de ne pas l’avoir tué.
C'est son dernier jour sur l’île. A son arrivée,
étant grutier, il avait accompagné sa grosse pelle
mécanique sur la portière (gros radeau servant à
débarquer le matériel quand le bateau ne peut se
mettre à quai) Pendant le trajet, la mer étant
forte, l’engin est tombé et lui avec. Il savait
nager, pas la pelle. Elle est encore par cent mètres
de fond. Comme il m’a dit autour d’un verre de pur
malt : « Le premier et le dernier jour ont été un
peu animés. Le reste du séjour a été paisible »
Récit de Jean-François Germain
Photographies Internet TAAF
Les oubliés de Saint
Paul
Le vent est faible, le ciel est beau. L’île
de saint Paul s’approche lentement, majestueuse dans
son écrin de bleu. Peu étendue, elle culmine à une
cinquantaine de mètres au-dessus de l’eau. C’est un
cratère volcanique dont un pan effondré a laissé
pénétrer l’océan, ouvrant une passe peu profonde.
Pendant que la chaloupe est mise à l’eau nous
faisons quelques photos avec l’hélico, puis poser
sur le seul bout de terre plat à l’intérieur de
cette magnifique couronne. Ce lieu est chargé
d’histoire. La richesse en langouste de ses eaux a
depuis longtemps éveillé la convoitise des hommes.
Avant la première guerre mondiale, une usine
de mise en conserve a été crée en ces lieux. Au bout
de dix huit mois l’équipe est relevée et seulement
huit personnes restent sur place pour assurer
l’entretien. Ils y sont restés presque trois ans, le
bateau devant amener la relève a eu de sérieuses
avaries, la société à fait faillite et la première
guerre mondiale n’a pas arrangé les choses. Une
petite Marie est née amenant espoir et joie à ce
groupe abandonné. Puis le scorbut a fait son
apparition, décimant la petite communauté. Marie est
morte alors qu’elle n’avait que trois mois. Seul
deux adultes survécurent. Un très beau livre raconte
leur aventure. Les oubliés de saint Paul ont payé un
lourd tribut à la solitude et à l’éloignement de ces
lieux.
L’océan, comme la houle, donne et reprend.
Recueillement sur les tombes. Seule une petite croix
mise à mal par la tempête signale l’endroit,
dernière demeure idéale pour romantique solitaire.
Le tour du propriétaire est vite fait. Les
fondations de l’usine sont à peine visibles. Reste
un tas informe et rouillé de vielles boites de
conserve. La nature reprend vite ses droits,
futilité des chercheurs d’éternité…
De nos
jours, un chalutier basé à la Réunion vient y
séjourner trois mois par an et ramène un nombre
incalculable de tonnes de langouste. Pour améliorer
notre ordinaire, le reste de l’équipe hélico jette
un casier. Une heure plus tard, il y avait cent dix
langoustes à l’intérieur. Petites, mais excellentes,
elles sont très recherchées.
Je joue avec un bébé otarie. Il est
soyeux et malin comme un jeune chat.
Sa mère me surveille du coin de l’œil mais
mes gestes sont
doux et il pousse des cris de
plaisir. Le temps passe vite. La chaloupe a regagné le
"MARION".
L’ancre se lève, le bateau appareille.
Il faut partir. Visite pré-vol, mise en route. Le
démarreur tourne mais la turbine refuse obstinément
de s’allumer. J’essaie de contacter le "MARION" par
radio mais le cratère retient les ondes. Le bateau
s’éloigne. Pendant que le mécano s’active, je le
regarde partir. C’est fou comme il diminue vite sur
l’horizon. Ce n’est plus qu’un point dans la
pénombre quand la panne est réparée. Merci monsieur
Sentenac pour ta compétence. Le rotor tourne...
Adieu à ce bout de France superbe. Nous aussi nous
avons failli être les oubliés de Saint Paul.
Maintenant, cette île est
devenue une réserve biologique.
Seuls les scientifiques ont rarement le droit d’y
débarquer en prenant de strictes mesures sanitaires
pour ne pas transmettre la grippe aux mouches afin
que leurs toux ne perturbent pas les coïts aviaires.
Je plaisante, bien sur.
En écologie, l’équilibre est dur à trouver…
Récit de Jean-François Germain
Photographies Internet TAAF
Ravitaillement
Il n’y a pas de
port à Crozet. Le bateau s’ancre dans la baie et les
marchandises sont amenées sur la plage à l’aide de portières
(grands radeaux) tirées par une chaloupe. Il faut une mer
calme pour réussir l’opération, et nous avons attendu deux
jours avant qu’elle ne le soit. 26,5 tonnes de matériel
nécessaire à la vie du camp sont enfin déposées sur la
plage. La base vie est sur une colline qui domine la mer.
Avant, pour monter tout ce chargement, un téléphérique
existait, mais sa vétusté, ses pannes fréquentes et le
manque chronique de pièces de rechanges ont poussé un ancien
chef de district à le faire dynamiter pour obliger les TAAF
à en faire bâtir un neuf ou à construire une route. Après
quelques années d’études, la route était en route, mais non
encore utilisable. C’est donc avec la bonne vielle AL2 qu’il
a fallu monter tout cela : ça a pris 6h15 de vol pour
déposer ce matériel sur la petite place de la zone vie ainsi
qu’à divers endroits sur l’île.
Juste le
temps de manger un sandwich le midi car les journées sont
courtes et le Marion Dufresne a déjà du retard sur son
planning. Lors du dernier ravitaillement en kérosène sur le
bateau, fatigué par de longues heures de vol intenses,
j’étais en courte finale sur la zone de poser quand une
vague plus forte que les autres a brusquement soulevé
l’arrière du navire. Endormi par le train-train, je n’ai pas
réagi assez vite et le crochet pendant sous l’hélico a tapé
la rambarde sans heureusement s’y accrocher, sinon gros gros
bobo. La routine tue. En aéronautique, c’est sans appel,
idem dans la vie, ça prend juste plus de temps.
Pendant mes
nombreuses rotations, je suis passé une centaine de fois sur
la baie et j’ai eu le privilège de voir chasser les orques
épaulards. Cette baie est étroite et une manchotière
colonise la plage. Cinq orques attendent en ligne, un
sixième se glisse le long de la côte en se faisant le plus
discret possible, puis surgit brusquement entre les manchots
et la plage. Affolés ceux-ci fuient vers le large où attend
le reste de la bande. Cette tactique a été appliquée
plusieurs fois avec toujours le même succès.
Lors d’un
passage suivant, le chef de district m’a remis une photo
d’une des rotations en sling. Un timbre des Terres Australes
représentant l’hélico y est collé tamponné du cachet de la
poste à la date des vols. A l’arrière cette dédicace : «
Même pas une seule bouteille de cassée. 26,5 tonnes de
merci ». J’en ai été très touché.
Récit de Jean-François Germain
Photographies A.H.A. , Internet TAAF
Départ
C’est le dernier voyage du commandant du "MARION
DUFRESNE I" . Après douze rotations sur les Îles
Kerguelen,
il quitte ce bateau pour être le pacha d’un porte container.
Fini pour lui les quarantièmes rugissants et les
cinquantièmes hurlants. Il en a gros sur le cœur. Il aimait
ces vagues hautes comme des immeubles et ces vents qui
décoiffent. Il aimait aussi les escales sur ces terres
désolées, il aimait surtout son vieux bateau, compagnon de
tant de souvenirs. Dernière escale à Crozet. Le futur, c’est
la routine d’un cargo sans passager et des mers sans
tempête.
Nous sommes à terre. Le bateau est ancré dans la
baie. Il faut embarquer. Soudain il me demande si, avec
l’helico, on ne pourrait pas le laisser partir et le
rejoindre en pleine mer.
Il n’a jamais vu son
bateau appareiller et aimerait tant, pour
son dernier voyage, le voir quitter le port.
Pas de problème. Il laisse donc le
commandement de la manœuvre à son second et,
avec les gens de la mission, nous regardons
cet unique lien avec la civilisation se
préparer au départ. Pendant six mois l’île
va vivre en autarcie. Les gens sont graves,
les yeux sont humides.
La trompe du bateau résonne d’un son grave et
lugubre. Les ancres se lèvent. Personne ne parle, personne
ne bouge. Le "MARION" glisse majestueusement sur l’eau puis
vire derrière la baie.
L’impression de solitude est totale. Même
pendant le vol retour le malaise persiste. Nous laissons
derrière nous trente personnes orphelines. Le commandant,
lui, pense à son navire et les souvenirs reviennent en
nombre. Il a bien du mal à expliquer la rougeur de ses yeux,
peut être le vent…
Récit de Jean-François Germain
Photographies Internet TAAF
Éléphant de mer
Huit heure de train dans un compartiment de
première classe vide. On lit, somnole, rêve. La nuit
arrive tôt, l’hiver est toujours là. Les paysages
s’estompent de plus en plus, c’est presque un
soulagement. La pluie tombe depuis le départ, la
campagne est sale et triste. Inlassablement les
gouttes font des rigoles sur la vitre. Il fait
froid. La SNCF, pour résorber son trou chronique,
économise sur le chauffage. Ne nous plaignons pas,
ils ne sont pas en grève. Le train ralenti,
la banlieue parisienne arrive. Sous le soleil c’est
déjà poignant, en ce sombre crépuscule mouillé, ça
étreint. J’aime Paris à deux, en août et en
vacances. Je le
hais en février, une valise à la main et un sac sur
l’épaule. Longs quais lugubres et blafards.
Métro, trois stations, changement, puis six autres. A
mesure que l’on se rapproche de la tête de ligne, il se
vide. Plus que cinq à bord, pâles, fatigués, absents. Même
l’Africain du fond est triste, moi qui les ai connu si
rieurs et resplendissants dans leur pays.
La grande ville déprime. Du vol du
pigeon on ne retient que la fiente.
Les motos crotte ont perdu depuis longtemps la
guerre de la propreté. Les phares des voitures se
reflètent sur le macadam poisseux. J’allume une
gitane maïs, petite lueur amie dans cette grisaille
de mornes néons.
Enfin Balard, Cité de
l’Air. Drôle de nom pour drôle d’endroit. Poste de
police, laissez-passer, hébergement.
Il faut payer d’avance et, comme au bordel, avec la
clé, on a droit à une serviette propre et un bout de
savon. J’ai l’impression d’être le héros malheureux
d’un mauvais roman glauque.
La chambre est à l’image de mon moral,
petite et fanée. Vue imprenable sur le périphérique,
ruban jaune et rouge qui assourdit. On dirait le
sang "sidaté" d’un grand corps qui agonise. Seule
note de musique, la sirène des ambulances. Vive la
province et le chant des petits oiseaux. Le robinet
du lavabo goutte. Vu la marque jaune laissée sur la
vasque, ça ne date pas d’hier. X ème stage dans la
capitale. Je ne m’y ferais jamais. Je prends une
couverture dans l’armoire malade. Un magazine en
tombe. C’est NewLook, hebdomadaire de charme. Un peu
de jolies filles, j’en ai besoin.
Tiens, un article sur les îles Kerguelen. Mais
le pilote de l’hélicoptère en train de "slinguer" un
éléphant de mer, c’est moi. Huit ans déjà, c’est
comme si c’était hier. Les odeurs, le vent du large,
la liberté et l’amitié virile. Une seule photo et la
porte de la mémoire s’ouvre.
Pour se protéger du vent et muer tout à leur
aise, les éléphants de mer se prélassent dans des
trous vaseux. Celui-là l’était trop, la bête est
prisonnière. Depuis plusieurs mois elle est
victime de ce cloaque et a
bien perdu la moitié de son poids. Ses coups de
queue nous arrosent de boue noirâtre et fétide. Pas
facile de lui passer un filet sous le corps. Enfin
on la sort de sa précaire situation pour la déposer
sur la plage.
Éléphant vole...
Si la conception de l’abstrait lui était
possible, il dirait à ses congénères : « Dieu
existe, je l’ai rencontré »
A peine posé sur le sable
mouillé, tu es parti vers ton destin. Tu ne savais pas, et
moi non plus, que huit ans plus tard tu me rendrais la
pareille; m’évader d’une chambre sordide.
Aucune de nos actions ne se perdent...
Récit de Jean-François
Germain
Photographies Internet + TAAF
HELIKER
XXX
été 1993 - 1994
Dernière mission "Kerguelen"
Pilotes: Yves
Germain (chef de détachement)
Frédérique Cailleau
Mécaniciens:
"Alouette 2"
n° 341
:
clic droit sur la photo et ouvrir dans une
nouvelle fenêtre pour visionner la
vidéo "HELIKER XXX"