Mission d'entraînement à haut risque

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Évreux, samedi 19 juin 1976 :

Puma N°1394 (vous avez remarqué ? Un 13, ouh là là !...) Décollage 22h30 vers une Zp dans les monts d'Arée, pleins complets plus deux bidons en soute. Pour un entraînement exfiltration de six commandos à embarquer à 24h02 (nous étions quasiment à la seconde près chez nous, au GAM..., enfin ! Très souvent !...Pour les suspicieux...  Au delà de 30 secondes t'étais pas très bon, presque mauvais ! ) après un poser sans phare sur un balisage deux lampes (pas des projos , non, des piles  qui ne s'usent que si l'on s'en sert. Signal identification AX, Po (point d'orientation pour ceux qui auraient oublié):petit lac à l'ouest de Brennilis sans plan de feu et à 2 minutes du poser .

Équipage : Jean Bernard, pilote cette nuit, Houdelat mec nav ( "Oulala"  pour les intimes, "Oulala" le calme personnifié, rigoureux à l'extrême, presque pointilleux... un Vrai Bon quoi ! ) et votre serviteur à la nav !

Vol à 500 pieds sol par nuit noire avec de bonnes conditions météo. Tout baigne! on est bien ! 14 de pas, Pa réglé en léger cabré, le  félin trace sa route idem à la prépa carte, les plans de feu, le chrono, la mécanique, tout est dans le vert; l'accoutumance à la vision de nuit s’améliore progressivement, on aperçoit  les champs, les bois, les routes, les petits plans d'eau... malgré une nuit noire. Bernard, qui pilote, les yeux dehors en permanence, est le plus  apte à voir la topo du sol. De plus, il a des yeux de chat... si si si ! On en a fait l'expérience, sa vision nocturne est très au dessus de la moyenne. Mangeait-il beaucoup de carottes ? Une certitude: il avait une hygiène de vie rigoureuse, sans alcool, sans tabac et du sport, beaucoup de sport. Mais aussi la gymnastique cérébrale en homme cultivé qu'il était. 

Bref: Mens sana in corpore sano !

Vertical le Po, à deux heures et à deux minutes le signal comme dans le livre. Identifié?…  Oui c'est bon, c'est parti, je range mes cartes et Jean commence son approche ...Pente normale ,vario pas trop crash confirmé par "Oulala" à la lecture de la radiosonde.

Poser embarquement, un coup d’œil aux jauges pétrole, c'est bon, décollage, la routine quoi !

...Montée à 500 pieds, cap de retour par un autre itinéraire (ne le dites pas, on passe pas loin du Mont St Michel et de nuit il vaut le détour!) Après, on rentre à la maison! Demain, c'est dimanche, on va dormir .

 

La météo ne change pas, la nav de retour est plus relax, et, paradoxalement, facilitée par l'extinction  de nombreux plans de feu secondaires à ces heures tardives et qui ne brouillent pas le suivi de la trajectoire. Travers Caen...(Falaise) un énorme sifflement, un grondement aigu, un bruit dégueulasse de ferraille rabotée au niveau de la BTP nous glace la nuque. Le  bruit d'une boite de vitesses qui grince quand tu oublies de débrayer, mais avec les décibels tropo  forte et en continu. Y a des pignons qui doivent chauffer la haut, ça n'arrête pas!

 - Moi: «  t'as la piste de Caen à 3 minutes à 90° gauche »

 - Bernard: « On se pose!... C'est bon dessous! »

 - "Oulala": « Je sors le train... Tout est vert... Pressions et températures OK »

Et toujours ce bruit... ça va péter ! ... m... Non ! On vole ! Bernard emmanche une spirale descendante serrée de son coté, avec une vision latérale améliorée en virage, je commence à voir plus de détails. A gauche et en dessous un grand pré mais très grand et sans arbre! Bien! Tout le monde "choufe" dehors, les turbines tournent normalement mais ce bruit nous tient toujours à la nuque! Avant la courte "Oulala" se met à la radio sonde et égrène calmement les hauteurs sol. Les Ng de la une battent un peu. Soudain, de mon côté,  un ligne, mais une grosse avec un grand pylône... On converge vers elle...

 - « Une ligne !... fais 20 degrés à droite ! » !…. 

 - « On est parallèle à la ligne » ... « OK c'est bon  maintenant!»

 - "Oulala":« 50 mètres...35 mètres... 20 mètres... 10 mètres... 5 mètres »

On se pose bien à plat, impec, un vrai poser de chibane, et à cet instant un claquement sévère, profond, qui vient de l'intérieur de la matière nous dit que quelque chose a cassé en haut. Pour tout couper ça ne traîne pas... au diable les  procédures d'arrêt !

Accompagné d'"Oulala", je monte sur la plate-forme BTP et que vois-je à la partie inférieure gauche de celle-ci: Un trou dans le carter plus gros que mon poing et de l'huile partout... ça baignait vraiment pour une fois !

Message radio à notre base, identification du lieu, projet pour la suite.. Attendre le lever du jour (*) et retrouver un peu de chaleur dans la nuque. Ah !... Si!... Le pipi de la peur, pour tout le monde s'il vous plaît! Je remonte deux fois sur la plate forme BTP, ça a cassé au bon moment si je peux le dire ainsi. Et j'apprécie la décision de poser le piège le plus rapidement possible. Bravo, mille bravos Jean! Nous te devons peut-être la vie !

 (cette année la il y eu trois cas d'éclatement de BTP sur SA 330 dans le monde, dixit le constructeur. Nous sommes le seul   équipage sorti indemne de cette affaire.)

En tous cas respect à toi Jean Bernard. Ton action rapide, précise, extraordinairement décidée et réalisée avec la manière nous a montré toutes tes qualités de pilote.

 - *Au lever du jour, devant nous, à quelques centaines de mètres, un champ de grues!

Non pas des oiseaux, des grues mécaniques! Des grues pour grutiers, toutes neuves, un centre d'essais pour elles.     Pas une, mais un grand nombre, un vrai paquet! Inutile d'imaginer une finale sur ce tas de ferraille... 

Récit de Georges Crozet