Spitzberg

                                        1969

 

 

 

 

 

 

 

Mission polaire au Spitzberg - 1969

Alouettes II n° 341 et 343

Mission d'appui pour les paléontologues du C.N.R.S.

Pilotes : Deflandre (A.H.A.)  (chef de détachement), Foures, Lonne (A.H.A.)      

Mécaniciens : Soulier, Roy (A.H.A.), Vincent (A.H.A.)

Bateau brise-glace norvégien "Norbjørn" au départ du Havre le 25/06/1969, remplacé après avarie moteur par le "Norsel" en Norvège le 15/07/1969.

 Retour en France le 09/09/1969.

C'est l'été 1969, nous avançons prudemment au milieu des plaques de glace qui s'entrechoquent à notre approche; elles se cognent et frottent contre la coque métallique dans un bruit lugubre remontant des entrailles du navire. Les icebergs issus de l'eau douce des glaciers ont des reflets bleus, ou verts si ce sont des parcelles de banquise; mais tous, à perte de vue, nous éblouissent de leur blancheur éclatante. Bien qu'il soit minuit, le soleil rasant fait courir l'ombre géante du bateau sur la glace morcelée. Quel paysage fantastique!

En arrivant au Spitzberg, je ne m'attendais pas à rencontrer autant de beauté. Avec la Mission Paléontologique du C.N.R.S., nous approchons de l'archipel gelé. Les chercheurs de notre groupe comptent bien y trouver des fossiles dévoniens, pétrifiés, endormis depuis 400 millions d'années. Les îles, ici, ne sont accessibles que durant les trois mois d'été où la banquise se retire, désagrégée par le Gulf-Stream. Les phoques, allongés sur des plaques de glace dérivantes, se redressent à notre arrivée; certains se recouchent et reprennent leur somme, indifférents; mais d'autres, plus craintifs, préfèrent se laisser glisser pour disparaître dans l'eau froide.

Certains jours, la lumière aussi semble froide: le blanc fluorescent des icebergs contraste avec les teintes gris bleu de l'ensemble du paysage. Le disque pâle du soleil, brouillé par un voile de cirrostratus, n'émet qu'une lueur blafarde. Alors, sur la mer d'huile, quand le bateau ne heurte pas  des paquets de glace, un silence profond nous impressionne. Tout semble engourdi, gelé... Seuls, deux fulmars exécutent des arabesques en frôlant l'eau grise de leurs ailes. Monde irréel, un peu triste parfois, mais loin de l'affolement constant de la vie parisienne!...

Néanmoins, j'ai le souvenir d'une mission épique, avec son lot d'ennuis incroyables concernant notre brise-glace: le "Norbjørn" était un ancien bateau de pêche norvégien transformé en l'occurrence, en porte-hélicoptères français - Moins cher, sans doute! - Tout d'abord une très grave avarie moteur survint en pleine mer du Groënland : de très fortes vibrations soudaines accompagnèrent des bruits fracassants; puis, tout à coup, un silence absolu... Etonnement général... Le navire était à la dérive. - On apprendra plus tard que le vilebrequin s'était brisé net -  Suivirent alors les appels de détresse durant vingt-quatre heures, avant notre prise en remorque par un croiseur de la marine norvégienne qui nous ramena au port de Tromsø. La préparation d'un autre brise-glace, en remplacement, nous permit de faire du tourisme et de nous remettre de nos émotions. Il nous fut possible de visiter la partie nord de la Norvège et de côtoyer les Lapons - La vie est rude au-delà du Cercle Polaire, mais les gens y sont chaleureux, accueillants, sympathiques -

Environ un mois plus tard, sur notre nouveau bateau, le "Norsel", le feu se déclarait à l'improviste, en plein océan. La cale embrasée contenait les fûts de kérosène servant au ravitaillement des hélicoptères embarqués. En avion, comme en bateau, le feu est terrifiant! On s'attendait au pire: "Attention! Dégagez, tout va sauter!" A chaque bruit, nous tendions le dos... Les pompes ne suffisaient pas à inonder la cale. Il était inéluctable que tout exploserait. Sur le pont, l'équipage courait en déroulant des tuyaux d'incendie. On se faisait injurier en voulant l'aider, car nous entravions les manœuvres prévues. Je revois encore ces marins, en combinaison d'amiante, traversant les flammes afin de sauver le matériel indispensable...("Chapeau" à ceux dont le métier est de faire face, avec sang froid, à de telles situations). Après deux heures de lutte, des valises surnageaient au milieu d'objets divers, dans une eau noire puant le brûlé. Spectacle lamentable, désolant; nous avions frôlé la catastrophe... Ce fut la peur de ma vie! Il m'était arrivé une peu la même aventure au cours d'un vol d'essai à Chambéry: la fumée envahissait tellement la cabine que je ne voyais plus les collègues à l'intérieur du H-34; mais le terrain d'atterrissage étant proche, l'angoisse n'avait duré que quelques minutes. - D'ailleurs il est réconfortant dans ces moments là, de voir les camions rouges des pompiers foncer sur la piste, toutes sirènes hurlantes, en suivant de près l'avion jusqu'à l'arrêt... Perdus en plein océan, les gens doivent se débrouiller tout seuls! -

Puis, derniers avatars de cette mission polaire: lors de la prospection d'un fjord, en fin de campagne, la coque du bateau accrocha un haut-fond malgré le Sonar et une vitesse réduite. L'équipage norvégien fut une nouvelle fois dans tous ses états!... Après une demi-heure de recherche sous l'eau glacée, l'homme-grenouille, parti en inspection, refit surface le visage violet et les lèvres gonflées. Heureusement il nous rassura, les dégâts étaient minimes. Nous allions pouvoir repartir avant d'être fait prisonniers par la banquise qui se ressoudait déjà en certains endroits.

Malgré toutes ces péripéties, nous avions rapporté en France 23 tonnes de "cailloux"... Ces fossiles sont exposés au Muséum d'Histoire Naturelle à Paris; on peut y découvrir des poissons comme les Porolépis et les Arthrodires, que l'on ne trouve plus beaucoup actuellement sur les marchés...

Récit de Claude Vincent Mécanicien Equipement A.H.A.

(Extrait de son livre "Planer, mon rêve")

Notre premier bateau norvégien, le "Norbjørn", tombe en panne vers l'île aux Ours à mi chemin entre la Norvège et le Spitzberg;. La mission continuera sur un nouveau bateau, le "Norsel". Au premier plan dans leurs emballages de protection les pales des Alouette II stockées sur le pont.

Alouette n°343 : "sling" sur le "Norsel"

Pilote : Jean-Bernard Lonne  Mécanicien : Michel Roy

 Déchargement de fûts de kérosène afin de créer des points de ravitaillement pour les Alouettes II après le départ du bateau.

Déchargement du bateau en "sling"

Survol du "Norsel" avant appontage sur la DZ du pont avant

Alouette n°341 : Appontage sur le "Norsel"

Claude Vincent renforce l'arrimage de l'Alouette II sur le pont du "Norsel" entouré par la banquise

Fin août, la banquise se reforme, il est temps de partir...