L’HÉLICOPTÈRE DANS L’ARMÉE DE L’AIR

  Intervention du GBA (2S) Michel FLEURENCE

 à la commémoration par l’Armée de l’Air du centenaire du 1er décollage en France d’un hélicoptère

 (B.A. 128 Metz, 12-13 mai 2007).

 

Mon Général, Madame, Messieurs les officiers généraux, Chers camarades et chers amis, 

 

“Avant qu’une arme nouvelle ne parvienne à son plein épanouissement, son emploi connaît plusieurs stades. Le premier est celui d’auxiliaire modeste des armes en place... Au deuxième stade de son développement, l’arme nouvelle est admise à l’intervention directe dans le combat... Au troisième et dernier stade, [elle] s’est crée ses missions propres qui n’ont plus qu’un rapport indirect avec la conduite des opérations telle qu’on la concevait antérieurement à sa naissance.” 

Cette réflexion de Camille Rougeron extraite de son livre Les enseignements aériens de la guerre d’Espagne paru en 1940, illustre avant la lettre l’évolution de l’hélicoptère militaire, tant au niveau mondial que national ou singulièrement à celui des Forces Aériennes Françaises. 

Les deux conflits mondiaux n’ont apporté aucun progrès technique et encore bien moins tactique aux voilures tournantes. Il a fallu 3 décennies (1907-1937) pour que la France produise, avec Breguet, le 1er hélicoptère vraiment moderne. Il faut encore 3 décennies (1945-1975) pour que naisse enfin une pensée tactique à la suite des guerres d’Indochine, de Corée, de Malaisie et surtout d’Algérie et du Vietnam, et pour que le surgissement de l’hélicoptère sur les théâtres d’opérations Algérie, Vietnam, Israël, révolutionne l’art de la guerre. 

Dans notre armée de l’Air en particulier, un survol de l’histoire de l’hélicoptère permet de discerner 

Quatre temps forts :

 le temps des autogires (1935-1940) ;

 l’essor d’une nouvelle arme (1950-1962) ;

 le temps du repli (1963-2001) 

et, depuis le début des années 2000, celui de l’expectative...

De 1935 à 1940, 60 autogires équipent des Groupes Aériens d’Observation de l’Armée de l’Air. Leur rôle est d’appuyer les forces terrestres par des missions d’observation au profit de l’artillerie et d’éclairage au profit de l’infanterie et de la cavalerie. 

Cette préhistoire des Voilures Tournantes est marquée par un affrontement Terre-Air reposant sur des différends de doctrine, voire des querelles de personnes, à tel point que durant la “drôle de guerre” et la campagne de France, les autogires de l’Air n’intéressent plus personne et disparaissent dans l’effondrement des armées. 

De  1950  à  1962, l’expansion de l’hélicoptère s’impose dans les guerres de la décolonisation. 

En Indochine, une cinquantaine d’hélicoptères légers et moyens équipent les premières unités de l’armée de l’Air. Leur mission consiste, de 1950 à 1954, à évacuer les blessés de la zone avant et à sauver les combattants (équipages et troupes au sol) tombés en zone "vietminh", puis, de 1954 à 1958, à transporter les commissions d’armistice. Au total, 20 000 sorties en 20 000 heures de vol, le bilan le plus remarquable demeurant celui des vols de guerre, 11 000 sorties en 11 000 heures de vol au cours desquelles 11 300 blessés sont évacués et 200 combattants exfiltrés. 

En Algérie, de 1955 à 1962, 400 hélicoptères légers, moyens et lourds équipent les deux escadres de l’armée de l’Air. Celles-ci, en 330 000 heures de vol, accomplissent un extraordinaire bilan opérationnel au profit des forces terrestres.   

(Les Bell 47, Alouette 2, H 19 et H 34 "Air" effectuent 19 000 reconnaissances à vue ou armées, 8 500 missions PCV, 6 700 missions de protection d’hélicoptères, 5 200 missions d’opérations héliportées, 2 600 appuis feux, 220 missions d’assaut - découverte, déposent 940 000 commandos et évacuent 34000 blessés.)

Cet âge d’or de l’hélicoptère militaire Air est dû 

-        d’abord à la conviction d’un haut commandement parti­san de l’hélicoptère (Généraux Valin et Bailly à Paris, Chassin à Saigon, Challe et de Maricourt à Alger)

-        ensuite au rayonnement et aux qualités tactiques des commandants d’unité (capitaines Santini et Garbé en Indochine, colonels Devillers, Brunet, Chantier et Canépa * en Algérie) ;  

* 1er commandant de l’EH 3, le Lcl Canépa tombe à la tête de ses équipages le 3 septembre 1957.

-        et surtout, à la foi des équipages en leur mission,78 membres** d’entre eux  tombent au champ d’honneur ou en SAC sur les 2 théâtres d’opérations. La bravoure de ces équipages a été récompensée par l’attribution de plus de 200 citations individuelles en Indochine et plus de 1 000 en Algérie.  

**  Soit 42 pilotes, 26 mécaniciens, 7 tireurs commando de l'Air, 2 convoyeuses de l'Air et 1 médecin. 

De  1963  à  2001, le repli et la régression caractérisent les aléas d’une situation de paix  

En 1964, deux ans après leur retour d’Algérie, les 2 escadres de Chambéry et Saint-Dizier sont dissoutes.

Leurs moyens sont retirés des Forces aériennes tactiques et rattachés au COTAM qui les redéploie en 5 escadrons

                      (Bremgarten, Saint Dizier, Villacoublay, Pau et Chambéry) et 2 détachements permanents (Cazaux, Istres). 

Commence alors une longue période de 40 années marquée par des pérégrinations et des dissolutions d’unités dues aux restructurations de l’Armée de l’Air...

(Un an avant sa dissolution (1966), l’EU 1/67 fait mouvement de Lahr sur Bremqarten ; le Valmy de Saint-Dizier est transféré à Metz (1972) où il sera dissous en 2005 ; le Pyrées quitte Pau pour Cazaux (1972) 1’Alpi11es quitte Istres pour Aix en Provence et revient à Istres ; créé à Apt en 1968, le Durance est dissous en 1998 ; le Maurienne de Chambéry fait mouvement sur Toulouse (1983), puis sur Mets (2006) où il perd ses appareils).  

... par une drastique réduction des effectifs de pilotes (460 on 1965, 150 en 2000), par la régression de l’activité aérienne (63 000 heures de vol en 1963, 17 000 heures en 2001) et surtout par la raréfaction du parc aérien (340 appareils en 1963, 210 en 1970, 120 en 1990, 86 aujourd’hui). Avec la disparition, en 1977, du mythique H 34...

 ( De retour en Métropole, les H 34 participent aux opérations de secours routiers et de lutte contre Les incendies de forêts (étés 1968, 1969 et 1970), dans les interventions de Sicile (1968) et de Tunisie (1969) et dans la guerre du Tchad (1969—1972). )

... s’ouvre l’ère d’une ambition moindre dans le choix des missions. 

Peu après, la fermeture en 1985 de la BA 725 frappe les esprits près de 2 000 pilotes français et étrangers y avaient été formés ! Alors les repères s’estompent.

 Et cela, au moment où en France, l’activité aérienne “hélicoptères” de la Terre, de la Gendarmerie, de la Marine et de la Protection civile sont en réelle expansion.

 (Entre 1963 et 1983, les heures de vol hélicoptères progressent de + 122 t pour la Terre, de + 57 t pour la Marine, de + 33 t pour la Gendarmerie, mais régressent de 60 t pour l’Air. Et depuis 1985, Ces évolutions se sont encore amplifiées.) 

Et depuis le début des années 2000 ? 

Se trouve-t-on devant l’interruption provisoire d’une régression inéluctable ou assiste-t-on aux prémices d’un sursaut ?

Dès le début des années 1970, le renforcement d’escadrons d’hélicoptères outre-mer dû au général François Naurin avait réconforté les hommes. Dans les années 1990, la définition de nouvelles missions spécifiquement Air (MASA, SAR au combat, participation à l’équipement des forces spéciales) venant s’ajouter aux missions pérennes (sécurité des champs de tirs et des centres d’essais) et l’arrivée de nouveaux appareils dans les unités aboutissant à la constitution d’une flotte ramassée mais homogène( Soit 44 hélicoptères lourds et 42 hélicoptères légers de 5 types différents seulement ), annonçaient déjà un arrêt du déclin observé.

 Depuis 2002, la reprise de l’activité aérienne et la relance de la production d’équipages (pilotes, sauveteurs plongeurs) sont autant d’indices d'un changement positif.

Mais dans l’immédiat, ce sursaut est toujours en devenir et deux interrogations s’imposent : 

- A moyen terme, disposerons nous encore d’un nombre d’hélicoptères suffisant pour assurer une capacité d’intervention crédible on Métropole, Outre-mer et en OPEX,  

- et surtout, avec l’apparition du fait interarmées et interalliés, saurons nous conserver le moral, la cohésion, l’esprit de corps qui fondèrent la tradition de nos unités,

 Saurons nous préserver un rayonnement Air à la française ?  

Ce bref survol appelle encore quelques observations succinctes.  

L’histoire a montré que la réussite de l’hélicoptère est plus remarquable dans le domaine tactique que dans celui de la logistique. Elle montre on particulier que pour les jeunes qui ont choisi cette arme, les missions de sauvetage de vies humaines (évacuations sanitaires, Samar-Sater, SAR au combat) restent les plus gratifiantes. 

- L’armée de l’Air a été la 1ère à être dotée d’autogires en 1935 et d’hélicoptères en 1950. Certes le développement des voilures tournantes a été, marqué par un affrontement Air-Terre quasi permanent, particulièrement vif au temps des autogires, à la fin de la guerre d’Indochine et au lendemain de la guerre d’Algérie, lors de la répartition des hélicoptères entre les armées décidée par M. Messmer.  

- Il reste que,

 de l’autogire Leo C 30 et du modeste Hiller 360 de 178 Cv au redoutable Caracal de 4 900 CV, en 70 ans d’existence, notre armée de l’Air s’est équipée de quelque 760 voilures tournantes dont 700 hélicoptères de 18 modèles différents et qu’elle a su tirer parti du matériel qui lui avait été confié. 

- C’est elle qui, avec l’œuvre pionnière du capitaine Santini en Indochine, “invente” l’évacuation sanitaire avec appui chasse. Elle diffuse directives d’emploi et d’utilisation tactique des appareils et développe les prémices d’une doctrine d’organisation et de manœuvre des unités d’hélicoptères basée sur la centralisation et la spécialisation des moyens. 

- C’est elle encore qui, avec l’œuvre pionnière du colonel Brunet en Algérie, “invente” l’hélicoptère armé, l’appui feux hélicoptère et l’héliportage d’assaut. Fascinés par notre expérience, Américains et Israéliens se déplacent boulevard Victor et au Bourget du Lac pour s’inspirer de notre doctrine. 

- Les hélicoptères Air ont été engagés dans tous les conflits et opérations de l’après-Seconde Guerre mondiale (Asie, Afrique, Moyen-Orient, Europe) et dans toutes les actions de service public on Métropole et Outre-mer. Aujourd’hui encore, l’existence de détachements maintient au sein des unités l’esprit opérationnel illustré par notre devise “combattre et sauver”.  

Il faut enfin à souligner que notre Arme a trouvé ses racines et s’est forgée une âme dans ses missions de guerre, mais aussi dans ses interventions de secours du temps de paix. Nous devons nous enorgueillir de cette spécificité et la conserver en rappelant la gloire et les sacrifices des Pionniers et des Anciens, afin que les jeunes pilotes d’aujourd’hui soient fiers de marcher dans leurs pas. 

L’A.H.A., avec ses 750 membres et ses 25 généraux, s’honorerait d’écrire notre histoire. D’où le message de Vercors que je rappellerai ici on guise de conclusion : 

“Quand la mémoire faiblit, quand elle commence, comme une fragile falaise rongée par la mer et le temps, a s’effondrer par pans entiers dans les profondeurs de l’oubli, c’est le moment de rassembler ce qui reste, ensuite il sera trop tard”.

 

 

Mon Général, Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.