Correspondance entre Bernard Voinier et le CEMAA G.A.
Claude Grigaut (janvier/avril 2010)
Mon Général,
Avec quelques camarades pilotes de l'Escadrille d'Hélicoptères Moyens 2/57 de Boufarik, nous avons décidé de servir la mémoire de
notre ancienne unité en regroupant quelques données la mettant en valeur.
Notamment le cumul des heures opérationnelles réalisées de nuit - nous n'avions qu'un moteur en étoile de 800 CV sur cet appareil.
Les faits aéronautiques remarquables n'ayant fait l'objet d'aucune citation du commandement, parce qu'il n'en mesurait probablement
pas les risques et difficultés: le VSV sur cette machine dotée d'une seule planche de bord élémentaire, d'un radio-compas;
parfaitement instable, le manche tombait si on le lâchait, relevait de l'aventure.
Dans ce cadre, je me permets de faire appel à vos souvenirs. Le 19-10-1958 sur le Sikorsky H-19 n°948, j'ai effectué une évacuation
sanitaire de nuit dans le relief à l'Est de Thiersville. La météo s'est dégradé pour le retour. Après le décollage, très chargé, je
n'ai pu franchir la ligne de crête. Obligé de virer, je rentre dans les nuages où je reste jusqu'à Thiersville.
Tiré par la gonio, je fais une percée folklorique. Poser avec un plafond très bas...
Et celui qui m'a tiré à la gonio c'était vous! Vous étiez resté au terrain, à attendre mon retour.
Vous étiez colonel, PCA, j'étais sergent-chef commandant de bord de l'hélico.
C'est loin tout ça mais votre témoignage serait précieux pour notre projet.
Je vous prie de croire, Mon Général, en l'expression de ma très respectueuse et très sincère admiration.
Bernard Voinier
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Mon cher camarade,
Votre lettre évoque pour moi bien des souvenirs de ces deux ans passés en opérations en Algérie.
J'étais alors Lt Colonel et non pas PCA à Thiersville mais chef des opérations au GATAC 2 à la Sénia.
C'est à ce titre que j'étais en mission à Thiersville le 19-10-1958 d'où j'avais fait une RAV en H-19, j'étais présent lors de votre
retour, tiré par la gonio de Thiersville, après un vol éprouvant et au soulagement de
tous. J'ai fait quelques vols en H-19 avec des pilotes toujours à la hauteur de la situation. Ils avaient d'autant plus de mérite qu'ils étaient aux commandes d'un hélico pour le
moins rustique doté d'un équipement rudimentaire.
Je ne peux oublier une mission en PCV le 14-12-58. Décollage d'Aïn Sefra de nuit, une heure trente de vol dont une de nuit, pilote le
sergent Massol avec qui j'avais fait, quelques jours auparavant, une RAV. Il s'agissait de décider de la faisabilité d'un héliportage,
au petit matin, sur un djebel au Sud de Sefra à quelques 2000m
d'altitude. Il me fallait des liaisons sûres avec un B26 en reconnaissance
météo et avec le dispositif au sol. A partir du H-19 à une altitude convenable, tout fut parfait.
Il s'avère que les conditions météo très mauvaises, il neigeait sur la
DZ, rendaient délicat à la limite l'héliportage et surtout rendaient l'appui aérien
impossible. Nos H-34 risquaient de se trouver à la merci d'un dispositif fellagha vraisemblablement sur place.
(Nous avons appris par la suite qu'une katiba lourdement armée attendait nos hélicos).
Finalement, j'ai convaincu le colonel, en place à un poste avancé, d'annuler l'héliportage que de toute façon j'aurais refusé.
Nous avons ce jour là, à bord de notre H-19, évité une catastrophe.
L'opération qui était d'envergure fut basculée sur un objectif secondaire, sans intérêt.
En vous répondant, je me plait à rendre hommage aux équipages des hélicoptères au cours de ces opérations et notamment ceux des H-19
moins bien équipés que leurs camarades des H-34 et Alouettes. J'ai toujours eu en eux une confiance totale.
Je ne sais si cette lettre répond à ce que vous souhaitiez, elle m'a en tous cas permis de revivre quelques moments exaltants.
Bien cordialement,
Claude Grigaut
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Mon Général,
J'ai tardé à vous remercier pour votre longue et chaleureuse lettre du 8 février 2010; je tenais en effet à en donner lecture aux
camarades engagés, comme moi, à donner aux Sikorsky H-19 de l'Escadrille 2/57 de Boufarik la place qu'elle mérite dans l'histoire de
notre Arme.
Ils ont été touchés par votre témoignage: qu'un grand patron comme vous, pilote de chasse de surcroit, ayant vécu très certainement
un nombre impressionnant d'expériences aériennes, se souvienne avec autant de précision de l'EHM 2/57 au travers de trois missions
effectuées sous ses ordres directs, force respect et admiration.
Une dernière requête, sur les conseils de Michel Fleurence, nous devons reprendre l'historique complet de cette escadrille, de sa
création à sa dissolution (3 ans), travail de "pailleux" que nous allons assumer pour la bonne cause! Nous en tirerons un petit
opuscule où seront consignés:
- les données officielles: nombre, genre de missions, jour, nuit, résultats etc... Mais aussi des données peu prises en
compte dans le monde aéronautique telles que le nombre d'atterrissages de nuit,
d'auto rotations en exercice et réelles, le nombre de percées
réelles.
- les faits marquants exceptionnels tirés des citations individuelles ou non.
C'est à ce titre que je vous demande l'autorisation de publier votre lettre comme témoignage.
Je vous prie de croire, Mon général, à mes sentiments très respectueux. Avec toute ma gratitude.
Bernard Voinier
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Mon cher camarade,
Je vous donne bien volontiers mon accord pour publier le témoignage que je vous ai adressé.
Dans votre lettre du 8 avril vous me voyez "pilote de chasse". En fait j'ai été pilote de bombardier pendant la guerre, puis pilote
d'essai pour retrouver le bombardement à la tête de la 92ème brigade équipée de VAUTOUR en 1960.
Je vous félicite, vous et vos camarades, de vous atteler à ce de mémoire qui, achevé, sera une belle source de satisfaction pour
vous tous, une référence pour ceux qu'intéressent les faits d'armes de l'armée de l'air et plus généralement un souvenir qui mérite
de rester vivant.
Bien cordialement à vous et à vos camarades.
Claude Grigaut
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