"Oh! Quelle nuit..."

ou les surprises de l'intendance

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Premier pilote de jour et de nuit, donc commandant de bord sur H-19 ( l'éléphant joyeux) avec comme copilote, excusez du peu, l'A/C LIA R... arrivant tout droit des Nord 2501. C'est pour vous dire son inquiétude dans le type d'action que l'audace de mes 22 ans lui ont imposée. Pardon mon A/C, qui sans doute ,est au ciel comme beaucoup des combattants que nous avons été.
Le 9 juillet 1959 , alors que le crépuscule tombe, nous sommes en détachement à SETIF ( forteresse de la "Crespin Air Force", autrement dit l'ALAT, avec comme grand chef le Col Crespin ) nous recevons l'ordre d'aller ravitailler en eau une compagnie de Harkis.
Je calcule le chargement que mes 625 HP pourront soulever en fonction des conditions du moment bien sûr ,ceci en consultant les excellentes courbes de performances inexistantes, et je dit au mécanicien d'équipage, le sergent Méry "500 litres et les bidons ça passera!". Certes le néophyte adjudant chef n'y trouve pas à redire d'ailleurs je ne lui demande même pas son avis. Normal, à "22 balais" on croit tout savoir, heureusement c'est ce qui empêche la jeunesse d'être timorée, et c'est cela qui m'a permis de sauver la machine ce jour là...

Sur Sikorsky les deux pilotes sont perchés dans le poste de pilotage et n'ont qu'un vague aperçu de ce qui se passe derrière et en dessous. Nous communiquions avec le chef de soute par interphone, en aveugle...
Je donne naturellement les commandes au nouveau venu des 4136 cv des 2 "Hercules" du Nord 2501. Au décollage je m'étonne quand même un peu du comportement de la machine, je penserais presque que décidément les pilotes de gros ne sont pas très adroits. Je le pense d'ailleurs toujours eu égard à l'adresse manuelle que doit déployer un pilote d'hélico; ( Pour le côté intellect chacun pense ce qu'il veut, heureux ceux qui ont pu faire les deux !!! boutade.) Je ne suis pas inquiet outre mesure, après tout il est là pour se faire la main le "juteux"(c'est le sergent qui parle, depuis j'ai été éduqué, le commandant Borie m'a passé le livre du savoir vivre quant j'étais son chef pilote au Poitou sur Transall, boutade !)
Le trajet entre Sétif et la côte 837 se passe tranquille, la vitesse est un peu faible, mais il fait encore chaud. Enfin nous arrivons à la verticale du piton ou bivouaquent les troupes au sol assoiffées. Celles-ci allument le traditionnel fumigène, le non moins traditionnel passage de "reco" sur ce piton rocheux m'indique une absence totale de confort pour un éventuel poser, il faudra se contenter d'un appuie deux roues, voire une! info pour ceux qui n'ont connu que les cockpits ouatés, le H 19 en avait 4 (roues...). J'admirais d'ailleurs le capitaine Valérie André, lorsqu'elle était "ma copilote" d'oser s'y glisser. Bref ! Pour tout arranger il commence à faire nuit et la fumée indique les directions du vent tourbillonnant à souhait .
Inquiet quand même j'assiste, en transparence aux commandes, notre transporteur légèrement "humide" du front. L'appareil est lourd, la PA contre nature, déjà la "dégueulante" pensais-je ! La "pompe" ne saurait tarder...patience? Elle ne vient pas, la bête s'enfonce irrémédiablement, même à pleine puissance les tours chutent et impossible de remettre les gaz, la paroi est trop proche. Une seule issue, plaquer la machine le moins dur possible au flanc en pente du piton, reprendre les tours et me hisser vaille que vaille au sommet.
C'est fait... pas dur du tout, la décision était bonne. Je regarde alors machinalement le sol de mon côté pour évaluer la végétation... Quel n'est pas mon étonnement de voir jaillir deux colonels de l'armée de terre. Parole de sergent jamais je n'avais vu d'officiers en kaki courir, mais pour sûr il sont mieux entraînés que les gonfleurs d'hélices!
Évidemment ces deux là avaient embarqué à Sétif usant de leur galons sans doute auprès d'un jeune mécano qui avait surestimé les possibilités de son aussi jeune pilote. De surcroît, à première vue ils devaient être trop bien nourris pesant à eux deux pas loin de 400 livres (ça fait plus lourd en lbs...), allégé l'hélico devient plus docile et je gère mieux la situation.
Un gros problème cependant, ça vibre tellement, moyenne fréquence, que j'ai du mal à lire les paramètres. Et pour cause dans l'affaire, d'aucun diront que nous avons reçu un projectile dans une pale du rotor de queue, d'autres que nous avons touché le vilain buisson qui se trouvait là??? Pensez ce que vous voulez, mais nous nous constatons qu'il nous manque dix centimètres sur une pale du RAC, impossible de redécoller. Bien sûr plus trace de nos colonels...
Il fait nuit maintenant, et pour un accrochage, c'est une merveille du genre, toute la nuit pour faire bonne mesure.
Une nuit d'horreur, planqués sous le ventre du H 19, carabine US à l'épaule, MAC 50 entre les dents ou presque , nous sommes prêts à défendre l'honneur de la France et de ses équipages. Nous assistons, sans participer toutefois, à l'affrontement qui se déroule à la lueur des lucioles larguées sans interruption par les Nord 2501. A un moment donné j'ai même entendu notre vaillant A/C prononcer le mot cher à notre ancien Président ;"PUTAIN,  que j'étais bien la haut dans mon cockpit ouaté ?" L'incertitude est totale, lorsque les hommes apparaissent dans la lumière, comment reconnaître les amis des ennemis? Ils sont du même bois... Harkis ou Fellaghas??? Le petit Jésus a voulu que nous gardions notre sang froid.
Pour faire court, dès la première lueur du jour un H 34 de dépannage arrive, tout fier de voir son petit frère dans la "m...ouise". Le pilote essaie de faire un appui roues sur la crête, raté et impossible sans doute; le dépanneur éventre deux de ses réservoirs sur trois sur un genre de souche. Il renonce "dare dare" et disparaît . Adieu veaux, vaches, cochons et rotor de queue !!!
Pour nous arranger, nos troupes au sol décrochent... Et quittent les lieux sans nous laisser la moindre protection, aucun contact avec le SCR 300, rien en VHF; c'est là qu'il faut réfléchir vite... Partir ou mourir certainement.
"Aurais-tu dans ta caisse à clous un mètre et une scie à métaux?" Demandais-je au meccano, "Affirmatif" (l'arrêté de 74 concernant la "phraséo" n'a pas vu le jour) me répond Méry un peu incrédule. "Te sens-tu encore capable de grimper la haut sur la poutre de queue?"
Regard apeuré de l'arpette, il l'était, "... Là haut ???"
"Oui là haut, tu vas aller mesurer la longueur de la pale, hélas tronquée, et tu vas me scier l'autre à la même longueur au micron prêt. Si tu n'y arrives pas, notre H-19 va servir à fabriquer des casseroles dans lesquelles les " Fells" nous ferons cuire à petit feu."
Je n'ai jamais su s'il n'aimait pas la chaleur extrême... Mais il fût perché avant que je finisse ma phrase.
Je vous laisse à imaginer la tête du confortable transporteur. Tout ça pour aller un peu dans le sens de l'idée que semble susurrer Pierre Kerlann , au sujet du "distingo" aux escales .
Laissons à l'imagination de chacun voir ce décollage de nulle part, avec 8/10eme de rotor de queue, des vibrations terribles ( Méry avait oublié le palmer...) et la blancheur criarde de l'équipage dans ce matin blême (cliché)  mais bien réel ce jour là.
Un atterrissage en rouleur sur la piste de Sétif, la machine étant incontrôlable en stationnaire, d'ailleurs au décollage du piton si je n'avais pas pu faire un 180° et plonger dans le vide pour prendre de la vitesse en autorotation, nous tournerions encore autour du rotor principal...
Pour la petite histoire l'Armée de l'Air n'aurait jamais connu cet événement, profitant de mon repos salutaire les "Crespin's boys" ayant changé le RAC sans rien dire (ils avait eux aussi des H-19).
Morale : A l'époque les biffins prenaient les hélicos pour des GMC... Mais ils étaient, et sont toujours HONNÊTES.
 

Jean-Louis Daroux