... S.O.S... Bearcat...

... Rita 10 en danger !...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

...Tonkin... 19 juin 1954...

6h15:... Une patrouille mixte décolle de Bach Maï avec pour mission de reconnaître la R.P.41, puis les R.C.13 et 13bis, de Conoï à Yen Bay. Le sous-lieutenant Bigay (indicatif Rita 10)faisant office de chef de patrouille, est le leader sur qui repose la charge de la mission de reconnaissance. Son ailier, le lieutenant Parisot (indicatif Rita 6)tient le rôle du weaver. Tandis que le leader travaille à basse altitude, "Rita 6" évolue selon la formation classique dite "en colonne", c'est à dire à 2km en arrière du leader à une altitude de sécurité de 2 à 3000 pieds. Le passage des points sensibles "Mercure" et Jeannette"est salué par quelques tirs sporadiques de balles traceuses.

Arrivé à Khey So, bien qu'étant légèrement à court de carburant, "Rita 10" décide, comme prévu initialement, d'aller observer une zone de garages et de dépôts située dans la cuvette de Lang Bieu tout en effectuant au passage un contrôle photographique du point sensible "Balthazar".

7h00:..."Rita 6" ne quitte pas des yeux son leader:"Je le vois toujours évoluer en rase-mottes devant moi"...

7h07:..."Je le vois disparaître derrière une butte dans un virage. Au même moment, il m'annonce: je suis touché, break à droite. Son appareil émerge de derrière la butte suivi d'une épaisse fumée blanche que je lui signale aussitôt. Il me répond avoir une grosse fuite d'huile et ne plus pouvoir tenir en l'air longtemps. J'allais lui demander de prendre de l'altitude quand il m'annonce: mon moteur s'arrête, je vais me crasher!" Il se trouve que la cuvette de Lang Bieu est protégée par des pièces de 37mm réparties en alvéoles individuelles et épaulées par des mitrailleuses de 12,7mm.

Malgré tout, le sLt Bigay tente de contrôler son Bearcat en perdition en voulant rejoindre la zone moins accidentée du Fleuve Rouge située à 25km plus à l'est, toujours suivi attentivement du regard par le Lt Parisot qui cherche à le guider pour qu'il ne se rapproche pas de la R.C. 13 et pour qu'il ne s'engage pas dans une vallée en cul de sac; celui-ci poursuit le récit:"Étant en plein relief, je ne voyais personnellement aucun terrain acceptable de crash".Malgré cela le sLt Bigay finit pas s'engager dans une vallée bouchée,"peut-être attiré par les tâches blanches d'un ray situé à mi-pente de la montagne bouchant la vallée. Il se crashe effectivement en plein centre du brûlis. L'avion stoppe en une dizaine de mètres, l'aile gauche étant cassée en trois parties. Le relief environnant ne permettant pas de survoler à basse altitude l'impact du crash, il m'était impossible d'avoir de plus amples précisions."

7h10:... Le Lt Parisot averti par radio le Centre des Opérations du G.A.TAC Nord en indiquant les coordonnées du point de chute: le point VJ 905-685 situé à 14km dans le cap 070° à partir de Lang Bieu.

Toutefois avant de rentrer sur Bach Maï, le Lt Parisot survole les lieux du crash pendant une quinzaine de minutes afin de déceler les réactions du pilote et celles des indigènes occupant des paillotes avoisinantes. L'avion n'a pas pris feu, mais son pilote doit-être en mauvaise posture physique et l'environnement ne semble pas être très sympathique. Dans l'heure qui suit le crash, une couverture de chasse assure tout au long de la journée la présence continue de 2 Bearcat ou de 2 Corsair. Un Morane 500 assure le balisage des lieux du crash afin de faciliter son repérage par voie aérienne. Un Beaver assure une permanence radio pour garantir les transmissions avec Torricelli...  

 

  Gia Lam - ELA 53 section hélicoptères -

 Équipage d'alerte:

  • Pilote - AC  Dupret

  • Copilote SGT Grandury

  • 1 Mécanicien. 

Appareil: H19D N°590, treuil, 6 civières.

7h20:...Téléphone du Centre Opération Torricelli, ...1 "Bearcat" de l'EROM 80 crashé...

...Nous nous précipitons vers le H19, mise en route, enlevé 4 civières. Nous décollons et établissons contact radio avec Torricelli pour compléments informations...

7h30:...Le C.O. confirme "bearcat" crashé et nous recevons ordre de nous poser à Bach Maï (base de la chasse)pour plus amples informations...

7h40:...Bach Maï, nous apprenons que sur 2 "bearcat"en mission de reconnaissance en Haute région, seul le chef de patrouille est rentré. Le lieu du crash est connu et un Morane 500 est en route pour balisage et stand-by au-dessus de l'appareil accidenté...(les "viets" vont être alertés...)

7h55:...Décollage... Cap à l'ouest... Nous passons la Rivière Noire au sud de Viêt Tri. Nous n'avons pas le contact radio avec le Morane 500. Le sol devient très accidenté et boisé... Ciel clair... Peu de vent au sol. Nous voilà en peine zone contrôlée par le Vietcong. Depuis la Rivière Noire, peu de repère au sol. Très loin sur notre droite, du haut de nos 5000 pieds, on aperçoit la Vallée du Fleuve Rouge. Notre passage doit déjà être signalé. Nous avons... Ou nous aurons... une couverture de chasse... si cela est, elle est discrète... Silence radio et rien en vue...

8h50:...Nous apercevons enfin devant nous, légèrement à droite, le Morane 500, très haut, qui effectue des cercles. Cap sur lui... Plus que quelques minutes et nous serons sous lui. Altitude sol environ 900-1200 m... point culminant, la montagne de Poulong 2900 m.

9h00...Grandury et moi-même commençons à chercher l'avion abattu. Environ 5 minutes plus tard, nous le voyons sur le flanc d'un petit sommet. J'ai l'impression, étant donné le manque de traces, qu'il a été plaqué au sol. la zone du crash apparaît dénudée sur une trentaine de mètres dans la pente, depuis l'appareil. Nous amorçons un virage à gauche, en descente et à environ une centaine de mètres, à vitesse faible, l'avion est à notre droite, il paraît entier. Le cockpit est ouvert, je remarque le casque du pilote sur le manche. Grandury de la place gauche, me montre le pilote couché sur le dos, sans mouvement. Il est à la limite de la végétation, la tête vers le bas. J'amorce le stationnaire avec l'intention de poser les roues droites dans la pente pour permettre au mécanicien de descendre. A cet instant nous sommes à environ 4 ou 5 mètres de haut, quand nous sommes aveuglés par un nuage de poussière à l'odeur de cendre. Pas question de faire du V.S.V. si près du sol, je dégage vers la gauche en direction de la vallée. Coup de chance, je suis parti dans la bonne direction... Dès que nous nous retrouvons dans le clair, avec Grandury, nous essayons d'envisager une autre méthode et nous reprenons de l'altitude. Il n'est pas possible d'effectuer un treuillage dans ces conditions et la végétation ne permet pas un poser dans les environs immédiats. En haut, l'équipage du Morane 500 a vu ce qui s'était passé et il nous transmet l'ordre de rentrer sur Son Tày, où l'opération sera vue sous un autre angle.

10h30...Atterrissage à Son Tày. Nous décidons avec un officier venu de Bach Maï de déposer d'une façon ou d'une autre, deux "paras" Méos au plus près de l'avion accidenté et de revenir faire le plein pendant que les parachutistes iront chercher le blessé. C'est tentant, nous verrons bien...

11h00...Nous repartons, pleins complets avec nos deux "paras", après leur avoir expliqué qu'il faudra sauter du cargo... posés ou pas... récupérer la civière larguée par le mécano, aller chercher le blessé et revenir à l'endroit où nous les aurons lâchés. Ils auront environ deux heures pour la mission.

A nouveau les 5000 pieds. Le Morane 500 a sans doute été remplacé. Notre bon H19 n'est pas très rapide même si on le pousse un peu. Nous arrivons enfin aux environs du crash, rien de neuf de ce côté là. Grandury et moi nous mettons d'accord pour une pente de colline un peu dégagée mais où il subsiste quelques troncs d'arbres coupés à 1 m du sol et aperçus après notre présentation et tentative manquée. Nous sommes face à la pente et entre les troncs, je pose l'appareil en douceur sur les roues avant... Trente secondes ont suffi... Nos deux "paras" sont au sol avec la civière. Ils nous font signe qu'ils ont compris et je fais demi-tour sur place sans problème... virage et cap à l'est. Les "paras" ont environ 800 m à parcourir, mais doivent descendre un vallon accidenté, boisé et remonter vers l'avion. Ce ne sera pas facile au retour avec le blessé... J'ai confiance, ces Méos ont une force et une résistance peu communes pour leur petite taille.

13h10...Poser à Son Tày. Il y a de l'aide pour faire le plein (jerrycans). Bref sandwich. Un capitaine médecin arrive vers moi et me dit :"Je pars avec vous, avec mon infirmier pour donner les premiers soins". de suite, je réponds non, en expliquant les problèmes de poids d'une part et les conditions de puissance de la machine ajoutés aux problèmes de la DZ d'autre part. Sur son insistance (c'est peu dire...), je fais arrêter le remplissage des réservoirs, je me livre à un rapide calcul, me basant sur un vol de 2h15 et stationnaire pleine puissance pour la récupération. Donc, pour l'enlèvement nous aurons dans le cargo : un mécanicien, le docteur, son infirmier, le blessé, les deux paras... le tout sur une DZ avec des arbres et une pente évaluée à 20%. j'accepte et ne fais remplir le réservoir arrière qu'à demi. J'explique à nouveau ce que sera la manœuvre. Nous ne pourrons que nous poser en appui sur les roues avant, la porte du cargo sera alors à 1,50 m du sol, pas facile pour embarquer la civière, le mécanicien restera dans le cargo pour aider.

13h15...Nous décollons de Son Tày, Grandury et moi nous nous regardons sans mot dire. Je lui passe les commandes et réfléchis. Je ne suis toujours pas satisfait d'avoir embarqué le toubib et son aide mais je le comprends. J'arrive à la conclusion que pour limiter les risques, je ferai une rotation supplémentaire pour récupérer les deux paras.

14h30...Nous arrivons sur les lieux, je reprends les commandes et alerte le mécanicien dans le cargo que ça ne va pas être facile. Dernières consignes : si trop chargés, on débarque les paras. Même présentation que la première fois. Les paras sont là avec le blessé sur la civière. Les roues avant à peine posées sur le sol, le toubib et l'infirmier sautent et courent vers le blessé. Le groupe est à une vingtaine de mètres devant l'appareil. Tout le monde se redresse et me regarde. je commence à m'impatienter et mes grimaces le font comprendre. Finalement, ils se décident à venir vers le cargo (pourvu qu'ils prennent garde au rotor, du fait de la pente il passe à 1,50 m du sol...) et à embarquer. Les roues arrière sont à 1 m du sol, je n'ai plus le temps de m'occuper d'eux. Au fur et à mesure qu'ils embarquent, je suis obligé d'augmenter la puissance, de 2400 tours moteur je passe à 2600 par précaution. En fin de chargement, les tours sont redescendus à 2400, il reste 2" de P.A. pour partir, je m'aperçois que je suis presque au maximum (il fait très chaud). Maintenant que le mécanicien m'annonce :"Tous à bord", il va falloir sortir de là doucement, si je tire trop sur le pas collectif, c'est la chute de tours. Je soulève l'appareil et fais demi-tour par la droite. Grandury surveille le compte tours, pourvu que la queue ne touche pas un tronc d'arbre... je laisse partir l'appareil dans le pente, nous prenons un peu de vitesse, le capot moteur passe à travers quelques branches et feuillages (des bambous, je pense). Finalement, après une centaine de mètres et 5 noeuds au badin, nous nous élevons, ce n'est pas rapide mais c'est parti ! Virage à gauche, l'est à nouveau, je surveille la jauge d'essence, ce sera juste. Je ne pense pas que dans le cargo ils aient réalisé à quel point nous étions à la limite des possibilités de l'appareil. Grandury reprend les commandes et je me décontracte un peu. Le "bearcat" est toujours au même endroit. On passe la Rivière Noire quarante minutes plus tard avec la lampe rouge du carburant allumée "15 minutes". Plus que 10 minutes pour Son Tày. Approche directe et atterrissage. je coupe le moteur, la porte du cargo s'ouvre, nos deux paras descendent, je les salue et ils s'éloignent. J'espère que l'on saura reconnaître leurs mérites car ils ont dû en baver.

La porte du cargo se referme et nous refaisons le plein du réservoir avant. Décollage, cette fois sans problème. Un quart d'heure plus tard, atterrissage sur la DZ de l'hôpital Lanessan d'Hanoï. Tout le monde sort du cargo. J'aperçois brièvement le blessé qui semble bien mal en point sur le brancard. Nous récupérons une civière pour remplacer celle qui a servi pour le blessé. le mécanicien remonte et nous roulons quelques mètres pour que le souffle du rotor ne gêne pas le transport du blessé vers l'hôpital. Décollage direction Gia Lam où, mission accomplie, nous nous posons après 7h35 de vol.

 

Réflexions sur ce genre de mission :

  • Conditions d'intervention de sauvetage en pleine zone rebelle : Pas de trousse de survie, pas de vivre (ration K), pas d'arme.

  • Personnel embarqué en assistance : dans ce cas précis, le personnel des services de santé, n'est pas informé sur la limite d'utilisation de l'hélicoptère - altitude, météo, nature du terrain...

  • Personnellement, si j'avais plus de 3000 heures de vol sur avion mono, bi et trimoteur, sur hélicoptère je totalisais à peu près 180 heures (inclus l'entraînement aux USA) et sans habitude du terrain accidenté.

  • Utilisation du treuil : Celle-ci ne peut s'opérer que si la personne à récupérer est en relativement bonne condition physique.

  • La Croix rouge peinte sur le fuselage n'est qu'une fausse sécurité. Une semaine auparavant, elle améliorera le tir des vietcongs lors d'une tentative d'évacuation sanitaire sur un point d'appui près de Phu Ly (23 impacts), et j'étais escorté par six chasseurs !...

R.D.

... le sous-lieutenant Bigay en était à sa 185ème mission de guerre et avait été touché à onze reprises, la douzième, certainement un coup de 37mm a failli lui être fatale... Après être resté 19 jours dans le coma, il est toujours des nôtres.

                                      (voir citation)                                                 Récit de Raymond Dupret