Naufrage du paquebot

"Antilles"


Dans Ia soirée du 8 janvier 1971, le paquebot "ANTILLES" s'échoue à proximité de l'île Moustique
et prend feu.

Dans l'après-midi du 9 janvier, j'accompagne le commandant Xuereb, nous décollons de Fort de France en Piper "AZTEC".

 Arrivés sur zone le spectacle est impressionnant, une énorme fumée monte du navire qui a été évacué, et Ies "portiques" de mise à I'eau des canots de sauvetage tendent leurs bras désespérés.

Nous allons nous poser sur l'îIe de la Barbade, où le commandant Xuereb participe a l'organisation de I'évacuation des naufragés qui souhaitent rejoindre la Guadeloupe, un Nord 2501 est en place sur le terrain. Nous rentrons de nuit à Fort de France.


Le 10 janvier 1971 apparaissent sur la coque du navire, nettement au dessus de la ligne de
flottaison "MOUSTIC LINE" en grosses lettres. (Droit de la mer: les épaves non identifiées
appartiennent à ceux qui en prennent possession).


11 janvier 1971 : je reçois la mission de rejoindre l'île de St Vincent pour retrouver Ie
commandant en second du paquebot "ANTILLES". But de Ia mission, se réapproprier le navire.
Un premier vol nous permet de constater l'état général: Ies superstructures sont
complètement détruites, un trou béant a la place des cheminées, la plage arrière est dégagée
mais I'aspect du pont laisse à penser que le feu couve encore au niveau des soutes de produits
d'entretien et de peinture. Seul a l'avant le mât de misaine est intact et serait accessible au
prix d'un long stationnaire.



Je retourne à St Vincent et le second de l'ANTILLES se met en rapport avec le consul (Anglais)
pour avoir son accord et préparer l'opération : je pense qu'i| est possible d'accrocher le
pavillon français a ce mât, il suffit d'équiper la brise du pavillon sur toute sa hauteur d’une
cordelette munie d'un noeud coulant à la partie supérieure pour la retenir en haut du mât et
lester d'un poids à la base pour assurer Ia tension et le déploiement du drapeau.
Fort de ces préparatifs, mon mécanicien en place gauche doit pouvoir se charger de
l'opération (avec l'aide du commandant en place arrière), j'embarque également le
photographe officiel de l'état-major Antilles-Guyane chargé d'authentifier cette mission.

A la suite d’une approche à proximité du mât, je me rends compte qu'il me faut afficher une
puissance voisine du maximum pour tenir le stationnaire. Dans le but d'assurer une plus
grande sécurité, je décide d'alléger Ie poids en allant déposer momentanément le
photographe sur l'île Moustique toute proche pour que la manoeuvre se déroule dans Ies
meilleures conditions.
Après un stationnaire assez prolongé, je retourne prendre le photographe déposé sur Ie côté :
à proximité d’une petite piste bitumée: surprise, il n'est plus là. J'élargis mon cercle de
recherche pour l’apercevoir a l'autre bout de Ia piste en compagnie d’une personne. Je me
pose donc à proximité sans arrêter le moteur, mais il fait un signe d'impuissance, j'envoie donc
mon mécanicien s'informer. En fait, il est retenu par le gardien des lieux, je demande donc à
mon autre passager d'aller aider mon mécanicien à "persuader" ce gardien et ramener coûte
que coûte tout le monde à bord. Ainsi fût fait, je décolle pour terminer la mission photo et
rejoins l'île de St Vincent.

PS : Quelques jours après je suis appelé a l|'Amirauté de Fort de France qui me fait part d'un
long message émanant de la cour d'Angleterre où sa majesté se dit outrée qu'un hélicoptère
français se soit posé sur son île sans son autorisation, cette île est la propriété privée de la
couronne réservée à la princesse Margaret...


Nota : Je n’ai pas eu (de Ia part de la compagnie propriétaire, Compagnie Générale Maritime)
le moindre remerciement pour cette mission délicate gratuite.

Récit et photos N&B Marcel Jacquel

 

Complément historique...

 

Le 8 janvier 1971, le paquebot heurte un récif immergé, non signalé sur les cartes, alors qu'il est à quelques milles de l’île Moustique, en croisière entre La Guaira et La Barbade. La collision endommage une soute à mazout qui met le feu à la salle des machines, surchauffée. L'équipage n'arrive pas à maîtriser l'incendie et les 635 personnes présentes à bord évacuent le navire; aucune victime ne fut à déplorer. Le lendemain, les naufragés arrivés entre-temps sur l'île Moustique sont transférés sur des navires venus à leur secours, parmi lesquels le "Queen Elizabeth 2" de la Cunard. Une partie des officiers sera ensuite évacuée sur le cargo m/v "Pointe Allègre" de la Compagnie générale transatlantique. Le même jour, l’Antilles se brise en deux. Les restes du paquebot continueront de brûler pendant six semaines.

Au fil des ans, l'épave finit par sombrer dans les eaux antillaises.



Ce naufrage donna lieu à des procédures en justice. Les deux principaux points de contestation portaient sur le choix de faire passer le navire dans cet étroit passage au nord de l’île Moustique alors que la cartographie française en était ancienne et peu précise, et sur la façon dont la lutte contre l’incendie avait été conduite par l’équipage.



Le commandant, Raymond Kerverdo, fut traduit devant le tribunal maritime commercial (Tribunal maritime (France) du Havre, en application de l'article 81 du code disciplinaire et pénal de la marine marchande. Il expliqua les circonstances de l’accident et fut acquitté par le tribunal après enquête et débats en octobre 1974 . Le commandant Kerverdo poursuivit sa carrière, qu’il termina en commandant le plus grand paquebot français, le SS France (France, paquebot de la même Compagnie générale transatlantique).

La Compagnie générale transatlantique fut remboursée par ses assureurs de la valeur assurée du navire à l'époque, soit 9 millions de francs, et elle remplaça le SS "Antilles" en rachetant un navire norvégien, le "Bergensfjord", qu'elle rebaptisa "de Grasse".

Ultérieurement, en avril 1975, un tribunal régional (‘District’) américain de Puerto Rico, statua sur des plaintes de divers passagers de l’Antilles contre la Compagnie générale transatlantique et ses assureurs du ‘West of England Steamship Owners Protection and Indemnity Association’. Le juge décida, après interrogation de nombreux témoins, dont le commandant et certains autres officiers sur les circonstances de l’accident. de condamner la Compagnie générale transatlantique pour « navigation négligente ». Cette décision visait le choix imprudent de faire naviguer le navire très près des côtes et dans des passages délicats (pour satisfaire le souhait des passagers de voir les paysages côtiers d’aussi près que possible) alors que la Compagnie, son commandant et ses officiers ne pouvaient ignorer que la cartographie (française, anglaise et américaine) des alentours de l’île Moustique était ancienne et imprécise. Ce jugement fait rétrospectivement et partiellement écho au Naufrage du "Costa Concordia" en janvier 2012, grand paquebot qui s’échoua et coula sur les récifs de l’Île de Giglio, au large de l’Italie, qu’il avait approché de trop près pour le plaisir des passagers, avec pour conséquences la mort de 32 passagers et la perte totale du navire.

 

Voir la vidéo "Antilles" La dernière Transat. (clic droit et nouvelle fenêtre)

 

Aujourd'hui l'épave est visitée par les touristes...

Documentation Internet Gérard Finaltéri